Liban : sortir du système confessionnel ?

Que savons -nous de l’histoire récente du Liban ? Qu’avons-nous retenu , en observateurs distraits depuis notre point de vue occidental, de la situation de la société libanaise ?

-Le Liban c’est compliqué.

-Il y plusieurs religions.

-La guerre civile ce fut l’affrontement d’un camp chrétien  et d’un camp musulman .

Parmi ces réponses seule la première traduit la vérité. Pour le reste , il faut aller explorer la réalité des communautés au Liban.  Laissons nous d’abord guider par l’humour du dessinateur Mazen.

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Cet exercice de reconnaissance mutuelle concerne chaque libanais lorsqu’il rencontre un autre libanais en dehors du cadre connu de la famille, du village, du quartier… C’est qu’il faut se repérer entre les 18 confessions présentes et reconnues dans le pays ! Il n’est pas toujours nécessaire de soumettre son interlocuteur à un interrogatoire aussi direct. Souvent le prénom suffit : entre Georges et Hasan, on repère vite le chrétien. Si cela ne suffit pas, le village d’origine ou le quartier de résidence dans Beyrouth est une bonne indication. La langue également : les chrétiens sont plus facilement francophones, même en famille, dans la vie quotidienne.

Sans parler des signes extérieurs comme le foulard, porté discrètement par une partie des musulmanes (surtout passé un certain âge) et exhibé fièrement dans sa version la plus noire et la plus couvrante chez les chiites en voie de radicalisation.

Mais, finalement tout cela ne concerne que la sphère privée, celle des convictions ? Eh bien, non ! Il faut savoir que l’état civil n’est pas assuré par un service d’état , mais par chaque confession. Le rite religieux figure sur les documents d’identité; il n’est pas prévu de catégorie  » sans religion ». Toutes les questions familiales relèvent du système confessionnel. C’est donc devant un prêtre, un cheikh ou un patriarche que les époux vont officialiser leur mariage .

caricature-mariage.1265296039.JPG Le mariage civil n’existe que dans le cas de mariage à l’étranger . Ceux qui veulent échapper à la loi confessionnelle s’arrangent pour se marier hors des frontières , à Chypre, par exemple, au large des côtes libanaises. L’aéroport de Larnaca ne désemplit pas de cortèges nuptiaux. Certains tour operators proposent des formules « clés en main » du mariage express et discret jusqu’à la grande noce haut de gamme.

Dans la plupart des cas, le droit de la famille qui s’appliquera sera celui de la communauté . Ce sont les tribunaux confessionnels (et non la juridiction civile) qui sont compétents  pour toutes les affaires familiales.

Ainsi le divorce n’est pas possible chez les maronites . Cependant, lorsqu’un maronite veut divorcer , il n’est pas très difficle pour lui de changer de religion , de se convertir, par exemple, à la religion orthodoxe qui autorise le divorce . Chez les chiites l’union libre peut être reconnue sous la forme de mariage temporaire ou  » de plaisir « ,  » le mout’a ».

Le droit des successions n’est pas le même chez les musulmans (l’héritiere touche la moitié de ce que perçoit un héritier mâle) que chez les chrétiens (pas de différence selon le sexe des héritiers).

Pour l’école des enfants, il faudra souvent passer par les organisations confessionnelles qui ont meilleure réputation que les écoles publiques. Pareil pour la santé.

Mais c’est sans doute sur le plan politique que le confessionnalisme libanais retient l’attention .

parlement-beyrouth.1265621338.jpg La Chambre des députés, dont la présidence revient à un chiite (Nabih Berri, leader de la milice Amal et ami de Damas) , compte 128 parlementaires, répartis selon des quotas précis entre 10 des 18 communautés religieuses du pays, un siège étant réservé aux petites minorités.

La moitié des sièges sont attribués à diverses Eglises chrétiennes, l’autre est divisée entre quatre communautés musulmanes, les sunnites, les chiites, les Druzes et la secte chiite alaouite.

Le pays compte 26 circonscriptions, au sein desquels les proportions religieuses varient. Certaines, comme celle de Tyr, son exclusivement musulmanes. D’autres comme le Metn, au nord de Beyrouth, exclusivement chrétiennes.

Au sein de chaque circoncription, les hommes politiques des diverses confessions présentent des listes de candidats pour tous les sièges disponibles localement ou pour une partie seulement d’entre eux.

Ainsi l’électeur lambda de la circonscription du Metn, par exemple, même s’il se sent plutôt athée ou chiite, ne pourra envoyer à l’assemblée qu’un représentant chrétien.

p_hariri_saad.1265623366.jpg Après les élections de juin 2009, la formation du gouvernement a été bloquée de long mois. Les deputés ont finalement désigné Saad Hariri ( fils de Rafic assassiné en 2005) comme Premier ministre, poste réservé à un sunnite, un choix que le président de la république maronite Michel Souleïmane était tenu de suivre.

Le nouveau Premier ministre a  formé alors un gouvernement où quatre ministères régaliens Intérieur, Défense, Finances et Affaires étrangères reviennent d’office respectivement à un maronite, a un orthodoxe grec, à un chiite et à un sunnite.

Cette construction politique baroque a été consolidée par les accords de Taëf qui ont mis fin à la guerre civile en 1990. Il était sans doute nécessaire à l’époque de donner à chacune des factions des garanties pour cesser les hostilités et désarmer les milices. Mais depuis, la situation s’est figée sans possibilité de se réformer. Le paradoxe, c’est que les accords de Taëf avaient donné comme objectif – à terme – la déconfessionnalisation de la vie politique libanaise. On en est loin . afp_090526liban_hezbollah_nasrallah_8.1265623114.jpg

Mais c’est un thème récurrent des discours des leaders. Ainsi lorsqu’on parle à mots voilés du nécessaire désarmement des milices du Hezbollah et du monopole des armes qui devrait revenir à l’armée libanaise, le Hezbollah a beau jeu de répondre : Ok pour passer nos armes à l’armée , mais dans le cadre d’un état déconfessionnalisé ! Et beaucoup entendent : quand les poules auront des dents !

Le fait nouveau, c’est que que cette question commence à traverser la société civile libanaise. Des initiatives se multiplient pour la promotion d’un état laïque. Ainsi cet appel à une Lebanese Laïque Pride pour le DIMANCHE 25 AVRIL 2010, À 11H à Beyrouth. Un espoir pour voir le Liban établi un jour dans une véritable démocratie débarassée du féodalisme des communautés…

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2 commentaires sur “Liban : sortir du système confessionnel ?

  1. Merci Norbert de ta persévérence à observer et décrire ce que tu vois et comprends. Utile et … j’aime ! A quand un « cours » en direct avec notre (récalcitrant) élève en art de vivre François Pouëssel ? Amitiés à tous deux. Béatrice

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