Salut les confinés ! épisode 13

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Le jour d’après …

Depuis mardi 17 mars nous sommes confinés. Comment la vie se déroule-t-elle dans ce village du péri-urbain lyonnais. Comment nous tenons-nous au courant de la marche chaotique du monde entre Venise, Copenhague et Washington où nous avons des amis ? Quels débats, quelles attentes, quels espoirs germent-ils dans cette situation de douce réclusion?

Avec l’apparition de l’épidémie, avec le confinement, la formule s’est imposée, dans les médias, les cercles de réflexion et les équipes politiques à gauche surtout mais pas seulement. L’idée c’est que cette épidémie bouleverse tellement notre société (« le monde d’avant ») qu’elle va induire un changement total pour nous amener vers « le monde d’après ». La crise serait porteuse de ruptures en chaîne dans nos vies quotidiennes, dans notre manière de travailler et de produire, et dans les façons de faire de la politique et aussi de gouverner. Mais la formule, généreuse, mais trop générale, trop vague, me gêne beaucoup, car elle est porteuse de malentendus et peut-être de frustration.

Il n’y a pas de jours d’après

  • Sur la progression (ou le reflux) de l’épidémie on en sait maintenant plus. Après un ralentissement dû au confinement, le virus est présent parmi nous pour un bout de temps. Il y aura sans doute des accalmies, des vagues en retour tant qu’on n’aura pas atteint l’immunité collective (et encore, l’OMS s’interroge sur son existence…) ou la mise en œuvre d’un vaccin. Donc pas de fin proche et nette de l’épidémie mais une crise sanitaire qui s’étalera sur de nombreux mois. Pour le jour d’après,il faudra donc patienter.
  • Sur le plan économique et plus généralement sur l’évolution de nos modes de vie et la manière de conduire les affaires, à gauche et même à droite on entend nos responsables proclamer « Rien ne sera comme avant ! ».  Cette petite musique, on l’a déjà entendue. Souvenez-vous, au lendemain de la crise financière de 2008, Sarkozy, fustigeant les errements du capitalisme financier devenu fou, proclamant la fin des paradis fiscaux, promettant de mettre l’écologie au centre … Il n’a pas fallu longtemps pour un retour au business as usual

N’est-ce pas ce qui se préfigure avec les mesures du plan de relance ?

  • Les 20 milliards d’€ destinés à sauver « nos » entreprises n’iront pas aux sociétés qui ont des rapports avec des paradis fiscaux, avait promis Bruno Le Maire. Le jour même, la disposition disparaissait de la loi votée à l’assemblée Nationale !
  • Le versement des dividendes sera -t-il annulé cette année dans les entreprises qui auront reçu des aides de l’état ? Rien de sûr ! Le gouvernement les invite à de la modération … Au mieux les actionnaires devront attendre un peu leurs dividendes, à la sortie de crise.
  • Air France va bénéficier de 7 milliards d’€ d’aide.

Une aide conditionnée à des « engagements », il s’agit pour le gouvernement d’en faire « la compagnie la plus respectueuse de l’environnement au monde » … Et pour commencer rouvrir à partir du 11 mai 3 lignes régulières qui pourraient être remplacées avantageusement par des TGV en 2 ou 3 h : Brest, Bordeaux, Montpellier !  70 fois moins de CO2 ! Cherchez l’erreur !

  • L’automobile suivra avec, on s’en doute, la même compréhension des intérêts de l’entreprise.
  • Le patronat français et ses homologues européens ont mené de discrètes opérations de lobbying pour convaincre nos gouvernements d’adoucir ou de repousser l’application des mesures environnementales, d’augmenter le temps de travail etc.

Bref, en matière d’économie, le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant !

Le monde d’après… dans les esprits :

L’air du temps, ces dernières années, avait mis en avant quelques idées : des modes de vie plus respectueux de l’environnement, la protection du climat, des revenus qui dépendraient moins d’un travail rémunéré (revenu universel), la recherche du sens, surtout chez les jeunes, dans les situations professionnelles, le rejet d’activités non-essentielles, inutiles, voire nuisibles. 

La crise du coronavirus et le confinement ont fait l’effet d’une véritable leçon de choses, une véritable expérience vécue sur chacun de ces sujets, qui annoncent une vaste prise de conscience. Dans bien des domaines nous ne sommes pas prêts à revivre le monde d’avant !

Mais le changement, c’est pas automatique !

 Nous sommes tous impressionnés par la baisse de la pollution dans les villes, ces photos satellites qui nous montrent une atmosphère transparente.

La tour Eifel se détachant sur un bleu transparent   Mais que se passera-t-il après le 11 mai ? Laisserons-nous la voiture au garage ? Sortirons-nous enfin le vélo ? Trouverons-nous plus de pistes cyclables, plus sûres ?
 En 2020, le Covid19 pourrait faire baisser les émissions mondiales de CO2 de 5 à 6 % par rapport à leur niveau record de 2019. Entre 2020 et 2050, il faudrait que ces émissions baissent CHAQUE ANNÉE de 6 à 8 %/an pour que les objectifs de l’Accord de Paris soient atteints. (Source Carbon Global Projet). C’est dire qu’il faudra poursuivre l’effort

Est-ce que notre chef de bureau accordera désormais la possibilité de travailler à la maison, cette possibilité qu’il nous avait refusé régulièrement avant le COVID ? Est-ce la fin des réunions interminables, en présentiel, au profit de courtes mises au point par Skype ?

La protection sociale évoluera-t-elle vers un système qui prenne mieux en charge tous ceux qui sont dans la précarité et dans la pauvreté ?

Les hôpitaux auront-ils enfin des moyens suffisants avec des carrières plus attractives pour les soignants ?

Serons-nous plus enclins à consommer local, des produits de saison, auprès de producteurs proches ?

Notre économie saura-t-elle se convertir à plus d’autonomie, dans une globalisation maîtrisée. S’engagera-t-elle vers une transition énergétique indispensable ?

Les réponses à toutes ces questions ne nous seront pas données par la magie du jour d’après. Il faudra continuer à nous impliquer, à nous mobiliser, par nos actions individuelles, par notre participation aux associations et à la vie publique.

Salut les confinés ! -10-

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Biens et services essentiels ? Ou pas ?

Depuis mardi 17 mars nous sommes confinés. Comment la vie se déroule-t-elle dans ce village du péri-urbain lyonnais? Comment nous tenons-nous au courant de la marche chaotique du monde entre Venise, Copenhague et Washington où nous avons des amis ? Quels débats, quelles attentes, quels espoirs germent-ils dans cette situation de douce réclusion?

Danièle nous avait conseillé dans son blog  de suivre l’invitation du philosophe Bruno Latour  à l’auto-description proposée dans un article paru le 30 mars sur AOC :

Il s’agit de définir, en période de confinement, quelles sont les activités qui vous manquent et quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas.

Et j’ai trouvé que c’était plus intéressant de commencer par les secondes. Car l’occasion est unique de disposer d’une page blanche où il n’y aurait plus de machines à fric du sport professionnel, plus de cours de bourse, plus de pèlerinage à La Mecque ou à Lourdes, plus de safari pour riches au Kenya, plus de semaine au soleil à Saint-Domingue avec des vols low cost, plus de courses automobiles ou de publicité partout. Je les cite en vrac, je vais essayer de hiérarchiser et préciser.

Commençons par la publicité.  Est-ce que ça me gêne vraiment, moi, en tant qu’individu ? Pas d’hésitation, c’est oui !

Pas une demi-heure devant la télé sans qu’on m’invite à acheter un SUV 200cv, de cette marque, de cette autre, et puis celui-ci qui est connecté, cet autre qui passe partout… Quand on sait que personne n’achète des voitures neuves sauf les entreprises et les particuliers aisés de plus de 60 ans. Les autres, plus fauchés, se rabattent sur l’occasion ou les premiers prix. Au bout du compte, on dit que ce sont 3,2 milliards € (à comparer aux 3,8 milliards de la redevance) qui partent ainsi en spot télé. Sans les pubs pour les bagnoles, TF1, M6 ou autres C 8 n’auraient plus qu’à fermer boutique. Si l’on rajoute les autres médias (les journaux papiers, la pub internet …) c’est 16 milliards. Et le double, 33 milliards, si on rajoute les autres canaux de la «communication» (marketing direct, mécénat,relations publiques …)! L’équivalent du budget de l’assurance chômage ou des dépenses de recherche-développement dans les entreprises!

Quand j’achète un yaourt Danone, c’est 15% de son prix qui part dans la pub, autant que les salaires des employés qui contribuent à sa production.

Est-ce que d’autres seraient gênés par la disparition de la pub ? Je n’en connais pas personnellement, chacun (les trois quarts des français d’après une étude) a sa petite astuce pour échapper à la pub : en profiter pour aller pisser, regarder ses mails, ou zapper sur une autre chaîne. Sur internet les bloqueurs de publicité ont un grand succès, au grand regret des annonceurs et de Google.

Sans la publicité, beaucoup de média disparaîtraient :TF1, C8, …Hanouna au chômage, qui s’en plaindrait ? En tout, pas mal d’emplois, dont beaucoup sont précaires pour les techniciens ou trop payés pour les vedettes.

Si on n’a plus la pub, il faudrait bien que les médias soient payés par les utilisateurs : la redevance (les chaînes publiques) ou l’abonnement : le modèle Canal+, les chaînes payantes, Netflix, l’information comme Médiapart. Et c’est le client, l’utilisateur qui décide et pas le système médiatico-publicitaire.

Dans le monde d’après, ces arguments devraient convaincre nos décideurs de supprimer ou de relativiser fortement la publicité. (voir l’excellent article des économistes attérés ) Eh, bien ! Non ! C’est le contraire qui se passe.

Ainsi la majorité macronienne a décidé que le sauvetage de la pub, étranglée par le confinement, était une grande cause nationale. C’est Aurore Bergé, députée LREM qui est montée au créneau.

Rapporteure générale du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, elle propose, à coté de l’autorisation d’un peu plus de pub dans les programmes,  la mise en place d’un crédit d’impôt sur les dépenses de communication. Il y a urgence, d’après elle, à soutenir les médias mais aussi l’affichage, durant cette crise du coronavirus. Chaque euro dépensé viendra donc en diminution de l’impôt versé par les entreprises, donc payé finalement par les contribuables.

Les citoyens ont l’impression que la pub, c’est la condition du gratuit, mais c’est un faux-semblant. Cette pub c’est le consommateur qui la paye, c’est moi quand j’achète un yaourt Danone, c’est moi quand je paye mes impôts pour permettre que les entreprises déduisent leurs frais de pub. Tout ça pour venir polluer notre environnement immédiat : écran télé ou internet, séquences radio, couloir des métros…

Et pour sourire et vous donner des idées pour utiliser le stock de papier hygiénique et de Sopalin que vous avez dans vos placards: les autoportraits dans les toilettes d’avion de Nina Katchadourian :