
Voici plus de 50 ans, un livre nous annonçait « La Fin des paysans ». Quand l’ouvrage sort, en 1967, le constat dressé par Henri Mendras fait l’effet d’une bombe :

le sociologue y prédit rien de moins que la disparition de la civilisation paysanne et son remplacement par une autre, technicienne. « C’est le dernier combat de la société industrielle contre le dernier carré de la civilisation traditionnelle », prévient-il en introduction.
Que s’est-il passé depuis ? Si tout le monde s’accorde sur la place décroissante des agriculteurs dans l’économie, la société et la vie politique de notre pays, le modèle et la réalité de l’exploitation « familiale » comme base essentielle de la production agricole n’a pas vraiment été contesté. De tous les bords , de la FNSEA qui a tout intérêt à maintenir cette fiction, de la Confédération Paysanne qui milite pour le maintien et le développement d’une agriculture paysanne, de la classe politique dans son ensemble, on feint de ne pas voir une évolution qui modifie profondément les conditions de la production agricole. Pourtant comment ne pas voir ce vrai chambardement ?
Les agriculteurs : de moins en moins nombreux !
1 587 600 en 1970 ; 389 000 en 2020 : un nombre d’exploitations divisé par quatre en cinquante ans. Et ce n’est pas fini : 342 000 attendus en 2025. Premières victimes les exploitations d’élevage et généralement les petites fermes. Les chiffres ne surprennent pas, tant la tendance est connue et vérifiée sur plusieurs décennies
La part des agriculteurs exploitants dans l’emploi total ne représente en 2021 que 1,5% contre 7 ,1 % il y a quarante ans.
Les terres délaissées sont d’abord vendues aux voisins qui s’agrandissent, entraînant l’augmentation des surfaces moyennes. Entre 1970 et 2020 la superficie moyenne a augmenté de 50 ha .elle est actuellement de 69 ha (comparable à l’ Allemagne , mais 2,5 supérieur à l’Espagne, 3 fois à l’Italie). Cette croissance en taille profite aux moyennes et aux grandes exploitations.
De la ferme à la firme …
Cultiver la terre en famille est une figure maintenant largement minoritaire. Le temps est loin où le couple partageait la même activité agricole (aujourd’hui 80% des conjoints n’ont pas d’activité sur l’exploitation), où le grand-père à la retraite donnait la main aux travaux des champs et où au moins un des fils avait le statut d’ « aidant familial » .
L’agriculture « familiale » se réduit maintenant à un chef d’exploitation travaillant souvent seul (42% des exploitations en France) ou avec des salariés et associés non familiaux. Les exploitations authentiquement « familiales » ne représentent plus que 30% des exploitations et 28% de la production agricole française.
Reste la propriété foncière comme caractéristique familiale. La terre s’acquiert encore essentiellement par l’héritage. Au moment des successions, les frères et sœurs ne se satisfont plus comme jadis de l’indivision, ou de soultes au long cours lorsque le frère resté à la ferme tentait difficilement de dériver une partie des revenus vers les collatéraux. D’où le succès des outils financiers : Groupement foncier agricole GFA, société civile d’exploitation agricole SCEA, ou même société anonyme SA, SARL. Les collatéraux se comportent de plus en plus comme des investisseurs, pouvant valoriser ou même vendre leurs parts, ou exploiter via un prestataire, plutôt que de conclure des baux avec un fermier trop protégé à leur goût.
L’agriculteur désormais seul à organiser la production ne peut lui-même tout faire et maîtriser toutes les opérations.

D’où une explosion de la sous-traitance, du recours à des firmes spécialisées dans les travaux agricoles et même le conseil à la conduite de l’exploitation, sans parler de l’intervention d’acteurs en amont (coopératives, fournisseurs), ou en aval (coopératives aussi et distributeurs, labels …)
L’agriculture familiale est un modèle qui n’a plus vraiment de réalité sauf dans des secteurs particuliers : produits régionaux de qualité, élevage de montagne, petit maraîchage/horticulture, agriculture bio, qui se maintiennent et se développent à coté de ce grand chambardement.
Comment peut-on promouvoir un modèle d’agriculture paysanne et à quelle condition ? Telle est la question urgente qui se pose à tous ceux qui se sentent concernés par la production de notre alimentation.
*J’ai repris le titre d’un livre excellent : Une agriculture sans agriculteurs de François Purseigle et Bertrand Hervieu éditions Sciences Po