Prix Nobel : qui est Annie Ernaux ?

Je ne suis pas un grand lecteur mais j’ai toujours eu de l’attention pour les romans d’Annie Ernaux : Les années , évidemment, Passion simple , et  Mémoires de filles .  Une bien petite partie de son « œuvre ».

Et c ‘est toujours avec intérêt et plaisir que j’ai retrouvé ses récits , toujours inspirés de sa vie. Tout le monde souligne à juste titre la qualité de l’écriture, son souci de précision, son honnêteté, une honnêteté rare dans ce domaine de l’autobiographie qui est souvent l’occasion de se donner le beau rôle.

Faut-il  d’ailleurs parler d’autobiographie quand l’auteur s’interdit souvent de parler à la première personne du singulier?  Dans les années on lit plutôt le nous, les on , dans Mémoires de Fille c’est plutôt La fille  ou elle qui est nommée, que l’auteure examine avec détachement  sur une photo d’époque. Si l’auteure renoue avec le je dans Passion simple c’est plutôt pour s‘attribuer un rôle d’observatrice, qui respecte une distance considérable avec elle-même.

Lorsqu’on fait de sa biographie la matière de son œuvre, il faut bien se soumettre au regard public et interroger les rapports de Annie Ernaux auteure littéraire avec Annie Ernaux, la vraie personne, sa réalité sociale. L’actualité nous donne l’occasion de recenser les images qui courent dans les médias, plus ou moins déformées, plus ou moins suscitées par Ernaux elle-même. Essayons d’en faire le tour et d’en évaluer la portée :

« Annie Ernaux est une transfuge de classe. »

Annie Duchesne est née le 1er septembre 1940 à Lillebonne (Seine-Maritime). Elle passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot en Normandie. Née dans un milieu social modeste, de parents qui étaient parvenus à s’extraire de leur milieu ouvrier, devenus petits commerçants qui possédaient un café épicerie, Annie Ernaux fait ses études à l’université de Rouen puis de Bordeaux. Mais c’est à l’âge du lycée qu’elle est percutée par les différences sociales, lorsqu’elle se retrouve au pensionnat Saint-Michel avec les jeunes filles de la bonne société de Rouen, à mille lieues de l’épicerie d’Yvetot.

La petite bourgeoise, bien modeste, se frotte pour la première fois à la grande bourgeoisie provinciale. Après le bac, elle délaissera une carrière d’institutrice de campagne avec sa démission de l’école normale d’instituteur de Rouen. Elle n’est pas douée pour faire la classe, elle ne se sent pas la vocation

Il s’agit là du récit d’une ascension sociale pas toujours facile, confrontée au mépris des classes dominantes, suscitant parfois de la honte chez l’auteur.

De là à tresser une légende qu’elle a en partie alimentée, de « transfuge de classe » qui se serait arrachée au petit prolétariat ouvrier d’Yvetot grâce à sa  qualité de « bonne élève » et ses succès académiques qui la conduisent à l’agrégation de lettres et au professorat, il y a peut-être une précaution à respecter avec la réalité sociologique, n’est pas Didier Eribon ou  Edouard Louis *  qui veut.

« Annie Ernaux est une féministe »

En choisissant de parler de sa vie de jeune fille , de jeune femme, sans crainte d’évoquer son initiation sexuelle dans un contexte humiliant ( Mémoire de fille) ou son avortement dans la clandestinité (L’évènement), Annie Ernaux a su mettre en lumière des épisodes difficiles qui attendaient beaucoup de femmes de sa génération, une génération d’avant 1968 et ses remises en question. A cette époque, l’auteure était déjà installée dans la vie, un métier, un mari , deux enfants … La vie rangée est progressivement remise au placard, ce qui l’amènera sans doute à l’écriture avec son premier roman Les armoires vides en 1974. Elle reprendra cette évolution vers plus de liberté  dans Les années  (2008).

Annie Ernaux , c’est le thème d’une femme dans ses bonheurs et malheurs dans une société dominée par les hommes, écrit à la première personne. Pas de doute, ces sujets parlent à la plupart de ses lectrices. Mais est-ce pour autant une auteure féministe ?

Ce n’est sans doute pas à moi, mâle hétérosexuel, d’en juger.

Mais je dois dire que j’ai été choqué du récit de Passion simple où la narratrice raconte une liaison torride avec ce jeune étranger « qui aimait les costumes Saint-Laurent, les cravates Cerruti  et les grosses voitures » (on n’en saura guère plus). Pendant ces longs mois d’une passion totale, la narratrice ne fera rien d’autre que l’aimer et l’attendre pendant ses longues absences. Rien d’autre n’occupera son esprit. N’est-ce pas un exemple d’emprise qui ne peut s’établir que dans un rapport de domination ?  La servitude est-elle plus belle lorsqu’elle est volontaire ? Ce récit d’un consentement total à la soumission est-il envisageable pour une féministe à l’heure de #MeTo ?

« Annie Ernaux est une révoltée »

Il s’agit là d’une constante dans l’évolution de l’auteur, estimant que ses origines sociales (l’épicerie d’Yvetot ) la désignent naturellement comme un des porte-drapeaux de la gauche de la gauche .

C’est de notoriété publique que l’auteure s’est engagée publiquement à de nombreuses reprises, signant en mai 2019 une tribune proclamant « Les gilets jaunes, c’est nous ! », jusqu’à sa désignation au parlement de l’Union Populaire, éphémère création dans le cadre de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Les rêves n’existent pas au passé. Je suis toujours révoltée. Je ne peux pas me taire » dira-t elle.

C’est une constance qui l’honore, qu’on partage ou non son attrait pour les insoumis. Mais quelle légitimité pour parler au nom des déshérités, soixante ans après avoir quitté son milieu populaire d’origine ?

A l ‘annonce de son prix Nobel, Mélenchon « pleure de bonheur » (sic) sur son compte Twitter…

*Didier Eribon (Retour à Reims) , Edouard Louis  (Pour en finir avec Eddy Belle Gueule ) ont tous les deux publié des succès de librairie qui rapportent leur jeunesse et leur sortie d’un milieu ouvrier très pauvre  grâce aux études .

Vie intense, vie trop dense ?*

Au début de notre vie commune à la Buchette, Claire, la fille de Danièle, fraichement exilée de sa vie de lycéenne  parisienne, saluait ainsi son installation provinciale à nos côtés : «  Ici, c’est le pays de la vie ralentie ! »

Cette remarque gentille rencontrait cependant mon incompréhension. Nous venions juste de terminer les travaux d’aménagement de cette grande maison apte à accueillir cinq enfants. Nous travaillions tous les deux à plein temps, avec beaucoup de déplacements, sans compter le syndicalisme et les activités associatives et/ou sportives et sans oublier la simple marche d’une maisonnée importante. Bref j’avais plutôt l’impression d’une vie bien (parfois trop) remplie.

Plus tard, je devisais avec un compagnon de trente ans, à un âge où l’on commence à pouvoir tirer des bilans de sa vie passée. Au bout d’une discussion animée (et passablement arrosée pour mon interlocuteur), je me retrouvais qualifié d’embourgeoisé, installé dans sa routine et son petit confort égoïste. Nouvelle incompréhension de ma part devant ce jugement,  surtout venant de la part de  mon interlocuteur qui avait passé trente ans fonctionnaire dans le même service, militant syndicalement dans la même équipe. Breton parisien de retour au bercail de ses ancêtres, il avait trouvé l’amour et la paternité à quarante ans et possédait sa petite maison. Je n’osais pas lui parler de mes trois mariages, des nombreux enfants, de mes 25 déménagements  et des 5 métiers que j’avais exercés successivement. Manifestement cela ne comptait pas face à l’impératif de radicalité révolutionnaire qui inspirait toujours un militantisme politique que j’avais quitté, moi, depuis longtemps.

J’avais bien l’intuition que ces appréciations – que je recevais comme négatives-  s’appuyaient sur un système de valeurs qui restait mystérieux à mes yeux…

Jusqu’à la découverte de cet essai de Tristan Garcia : « La vie intense : une obsession moderne » sur France Culture.la vie intense couverture

Toujours plus haut, toujours plus fort : pour vivre heureux, vivons intenses ?

Comment de nos jours échapper à cette notion d’intensité. Elle nous est promise à longueur de publicité qu’il s’agisse de déguster un café,  de conduire une voiture d’exception ou de partir à l’aventure. A chaque fois l’émotion,  l’expérience unique sont convoquées  pour rompre avec la routine de nos vies ternes, de la répétition, de notre ennui dépressif.

L’intensité a gagné toutes les sphères de la société, le sport, les loisirs, la culture dans un mouvement volontaire de chacun d’entre nous, mais quelque fois, malgré nous, notamment au travail où les victimes du Burn Out se retrouvent dans toutes les activités.

Tristan Garcia remonte le fil de cette obsession, privilège d’aristocrates désoeuvrés  au XVIIIème siècle, passion romantique des fils de bonne famille au XIXème,  impératif généralisé aux classes moyennes au XXème et XXIème, avec la figure de l’adolescent rebelle, du rocker.

L’intensité n’a pas besoin de définition : Dans sa publicité, ce café renommé est qualifié d’intense, on ne sait pas s’il est long, court, fort, doux, suave, Arabica, Robusta, ou Moka, sa qualité essentielle c’est d’être un café intense, une façon d’être plus « café» que le café .  L’intensité ne se mesure pas, à la différence des grandeurs mesurables (cet individu est plus grand que tel autre).  Comment dire que cette expérience est plus intense qu’une autre ? C’est une affaire intime, subjective.

Le problème, c’est que lorsque cette quête de l’intense est provisoirement satisfaite, cette satisfaction même dévalue l’intensité ressentie. Lorsque j’ai expérimenté une première fois le saut à l’élastique, le répéter n’a plus beaucoup d’intérêt.  Ainsi, l’homme moderne est condamné à rechercher sans fin l’intensité tant désirée.

ascension everest 2D’autant plus que l’intense contient souvent en lui-même une destruction possible, au moins une prise de risque. Quoi de plus de plus intense, lorsqu’on a réussi dans la vie, qu’on a la forme physique et les moyens financiers (au moins 50 000€) de tenter l’ascension de l’Everest ? Chaque année, ils  sont près de 2000 sur les pentes,  mais des dizaines de ces alpinistes amateurs ne reviennent pas de cette dangereuse ascension.

Cette recherche du toujours plus intense, est en phase avec le développement de la société marchande, avec les intérêts du capitalisme moderne qui s’ingénie à mettre en avant ses «expériences clients », toujours plus de biens, de services (inédits, innovants, exceptionnels…) à consommer.

Mais les rebelles, les plus hostiles au capitalisme triomphant, ne sont pas forcément les ennemis de l’intensité.poing Car l’intensité proposée par le système n’est, à leurs yeux, qu’un mauvais avatar de la vraie vie. « Nos vies valent mieux que leurs profits!»  affirment-ils . Et c’est bien une « vraie vie »intense dont il est question, bien loin des promesses illusoires d’expériences fortes mais monnayables de la civilisation capitaliste. Ainsi l’idéal d’intensité n’est-il pas seulement celui du monde libéral, mais aussi celui de ses ennemis.

L’intensité s’invite aussi sur le terrain du travail et du management (ce qui n’est pas directement dans le propos de Tristan Garcia). Le capitalisme à sa période triomphante dans les usines avait repéré les avantages pour la productivité de la routine – ennemie de l’intensité. Un ouvrier, d’après les observations de Frederic Taylor, était beaucoup plus efficace à répéter le même geste qu’en combinant plusieurs ou qu’en en changeant régulièrement. De son côté l’opérateur était bien conscient que cette perte d’autonomie était un mal nécessaire et  lui permettait d’atteindre les objectifs fixés par l’entreprise – et une rémunération assurée.

Mais la donne a changé dans les entreprises et les administrations. La production doit pouvoir s’adapter en continu, répondre aux variations de la demande, devenir « agile ». Le juste à temps, la polyvalence, la gestion par la demande a inversé les priorités. Les managers fustigent maintenant les routines, mettent en avant la souplesse, l’adaptabilité, la créativité, l’engagement personnel des salariés, bref l’intensité (l’intensification du travail) fait un retour en force, et devient un enjeu majeur des relations sociales dans le travail. Du coté des salariés, le mouvement est vécu de manière contradictoire : ceux qui peuvent se trouver dans une activité plus autonome, plus créatrice (parce qu’ils détiennent une qualification, une compétence particulière) sont prêts à jouer le jeu, quelquefois jusqu’à l’épuisement (Burn-out), les autres sont plus déterminés à privilégier les règles, la stabilité. Bien souvent la routine est leur alliée.

velo facteur Ainsi un facteur de la Poste qui, avec l’expérience,  connaît bien sa tournée est plus efficace, il peut finir et se libérer plus tôt à la différence du temporaire qui va galérer et finalement dépasser son horaire. Mais les gestionnaires de la distribution vont rechercher de leur côté la polyvalence, la disponibilité pour remplacer un collègue absent  ou répartir sa tournée. La routine est leur ennemie.

A la fin de cette enquête,  Tristan Garcia nous rappelle les alternatives traditionnelles à l’intensité : La sagesse  (qui s’efforce de réduire les intensités de la vie sensible), la religion (qui nous promet le salut, l’intensité suprême dans un autre monde). Et plaide pour réintroduire la pensée dans notre jeu. La pensée qui peut amener l’individu à résister à l’invasion de l’intensité dans la société moderne. Mais aussi la pensée qui doit résister à sa prétention à régenter nos vies sensibles. Un équilibre à trouver…

Danièle a lu le même livre. Retrouvez sa chronique sur son blog Les mots justes :

*Le titre est emprunté à une émission de France Culture – La grande table-  consacrée à ce livre

Les mots justes

Ça y est Danièle s’est lancée. Biographe… Voici une activité qui rassemble trois de ses centres d’intérêt : l’écriture, la généalogie, la photo , sans compter un ingrédient indispensable : la curiosité pour les autres, leurs parcours, leurs peines et leurs joies.

Une fois terminée sa formation, elle s’est employée tout d’abord à créer un site « Les mots justes » qui présente son activité, et qui a pour ambition d’inviter tout un chacun vers une démarche de biographie. banniere les mots justes bis

Une démarche originale. Laissons donc à Danièle le soin de présenter son projet:

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« Comment j’en suis arrivée à écrire des biographies ?
Ingénieure agronome et philosophe de formation initiale, j’ai développé une passion pour l’écriture et les histoires de vie. Les paysans et les penseurs ont été mes guides.
Toutes les histoires de vie sont passionnantes : sur une trame commune, de la naissance à la mort, elles nous enseignent comment les accidents de la vie, les rencontres, les succès et les échecs, construisent la singularité et l’humanité de chacun
La pratique de la généalogie et celle de la photo m’ont donné envie de proposer une offre spécifique et, je l’espère, originale et attrayante pour qui souhaite faire écrire sa biographie :
– à partir de vos recherches généalogiques, écrire l’histoire d’une famille à travers les portraits, les lieux, les métiers…des ancêtres les plus emblématiques de la lignée;
– à partir de vos photos de famille, laisser remonter les souvenirs, les anecdotes, les émotions et écrire une histoire de vie abondamment illustrée.
Trouver les mots justes
Trouver la forme et le mot juste pour donner le juste relief à vos souvenirs et les transmettre; c’est un travail passionnant qui se fait avec vous. Toutes les histoires ne sont pas de grandioses épopées, mais toutes méritent d’être racontées et vous verrez combien ce travail de mémoire est important pour vous et pour vos proches.
Je n’accepte que peu de commandes pour travailler avec plaisir et rigueur sur chaque projet. Je travaille toutefois au sein d’un réseau de professionnels formés comme moi à l’écriture et à l’écriture de biographie, avec lequel je peux vous mettre en contact en cas d’indisponibilité de ma part.
J’aime aller jusqu’à la réalisation du livre de votre biographie pour vous accompagner jusqu’au bout dans le projet qui vous tient à coeur, mais vous pouvez aussi le confier à l’imprimeur de votre choix. »

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Lesmotsjustes  n’est pas un simple site-vitrine. Il abrite aussi un blog (vous pouvez vous abonner en ligne, le site est accessible aussi sous androïd)) qui nous donne à voir les différentes facettes d’une oeuvre de biographe, par exemple : raconter à travers un livre (photos souvenirs, cartes postales,  et textes) un voyage qui vous a marqués. rocapina ter-

Vous aurez donc compris que Le Clairon suivra avec attention et bienveillance le parcours de ce nouveau site.

Longue vie et succès aux Mots Justes !

La rentrée 2010 des livres

Houellebecq reçoit le prix Goncourt pour La carte et le territoire.

Houellebecq,  un vieux copain dont on aurait du mal à faire un ami

Par Danièle

houellebcq.1290159601.jpg J’ai lu tout Houellebecq depuis qu’il est édité, avec des bonheurs divers. Les Particules élémentaires et La possibilité d’une île sont à mon avis les plus mauvais. J’ai une grande tendresse pour Plateforme et Extension du domaine de la lutte. La carte et le territoire fait une honnête moyenne, tendre et malheureux juste ce qu’il faut avec cette relation au père qui nous concerne tous, cynique et prophète de café du commerce avec la désindustrialisation de la France et le marché de l’art. Pas de plan cul dans ce dernier livre, pas une seule femme dans ce livre si ce n’est la tenancière de l’entreprise suisse d’euthanasie (j’oubliais Olga, tellement irréelle et désincarnée qu’elle ne laisse pas de trace !).

Houellebecq est un contemporain qui vieillit avec moi et n’aurait jamais trouvé le moyen d’être heureux :

J’avais lu Extension du domaine de la lutte lorsqu’il est paru à cause de son titre (et puis aussi « rester vivant » et « La poursuite du bonheur » autres titres si parlants pour les jeunes adultes que nous étions alors) et j’y suis revenue lorsque des collègues de l’agro [Institut National Agronomique – Houellebecq est de la promotion 1975 , Danièle de la 1970] me l’ont prêté en me précisant que l’auteur était un dingue de leur promo.

Extension du domaine de la lutte, c’est l’époque de l’introduction des systèmes informatiques dans les administrations, le début des changements qui ne cesseront plus, l’apparition des risques psycho-sociaux à travers la morgue de la hiérarchie des grands corps de l’Etat (l’Igref)…mes débuts dans la carrière administrative.

51tb0bvdbzl_ss500_.1290160168.jpgLes particules élémentaires, c’est l’année de classe de première pour ma fille au lycée Edouard Herriot à Lyon. Son professeur de français tenait ce livre pour un chef-d’œuvre ! Beaucoup d’enseignants d’ailleurs ont adoré et conseillé ce livre ; pour moi, c’est le glas des années 60, d’une certaine conception de la jeunesse et de la liberté, de l’insouciance, un peu coupable. Ah, l’Espace des Possibles  ! Centre de vacances alternatif , à la réputation un temps sulfureuse, qui le fréquente encore ?

plateforme.1290160874.jpg Quand j’ai lu Plateforme, j’étais amoureuse et j’ai beaucoup aimé cette expression sincère d’une sexualité tendre. Elle, le magazine féminin (gage de féminisme ?…), avait d’ailleurs fait une critique très élogieuse du livre.

La possibilité d’une ile, j’en ai sauté la moitié, sans gravité pour la compréhension de l’ensemble. C’est un peu le rien, sans construction, sans regard sur notre quotidien, avec beaucoup trop de cul pour remplir le vide.

la-carte.1290161027.jpg Avec La carte et le territoire, c’est ma jeunesse qui s’en est allée. Le temps de la maturité, le goût de la nature retrouvée, les visites au galeries d’art pour passer le temps, la mort des autres et la pensée de la sienne propre, l’indifférence au temps qui passe parce qu’il se fera sans nous.

Je ne sais pas si Houellebecq est un grand écrivain, mais c’est le seul dont j’achète toujours les livres dès qu’ils paraissent pour savoir ce qu’il pense comme ceux d’un vieux copain qu’on ne perd pas de vue. On dit qu’il est  en prise avec l’époque. Je pense qu’il est surtout aux prises avec lui-même, comme nous le sommes tous et c’est sans doute pour cela qu’il déchaine de telles passions. On aimerait qu’il soit plus heureux, qu’il fume et boive moins, mais pas question de l’inviter : il vous pourrirait la soirée !

La France de Raymond Depardon

la-france-depardon.1290163167.jpg Passer de Houellebecq à Depardon, est-ce vraiment passer du coq à l’âne ? Le photographe tendre, respectueux de ses sujets et le romancier cynique et provocateur, quoi de commun ?

L’artiste Jed Martin, le héros du roman de Houellebecq, après avoir photographié de multiples objets industriels avec un point de vue descriptif, le plus objectif possible, va s’intéresser aux territoires de cette france  rurale. Donner un relief , une perspective en mixant des photos des paysages avec des cartes Michelin au 1/200 000, mieux que Googleearth !

Depardon, d’abord grand reporter aux quatre coins de la planète, s’interesse depuis quelques années au terroir et à ceux qui y survivent (la série de films Profils paysans). Avec ce livre et l’exposition correspondante à la BNF, le voici parti dans une nouvelle aventure : rendre compte de la France des sous-préfectures, avec une méticulosité objective et exhaustive.

rdepardon1.1290173609.jpg Le voici parti en camping-car (un fourgon aménagé Trigano), à travers les petites routes de l’hexagone, avec un goût particulier pour les vitrines de bar-tabac et les carrefours de petites villes que le touriste ne traverse jamais. Ces images descriptives, avec la précision de la définition , des couleurs autorisée par la chambre, appareil encombrant héritier des premiers techniques photographiques, révèlent des populations dynamiques  qui trouvent (ou retrouvent) de l’énergie pour améliorer, transformer leur cadre de vie , auquel elles sont attachées malgré les délocalisations, le recul des services publics et le départ des jeunes vers les métropoles.

depardon-head.1290172934.jpg

Cette démarche d’un grand artiste nous touche particulièrement car nous partageons, Danièle et moi, ce goût des vadrouilles en camping-car hors  des grands axes de circulations et des poles d’attraction touristique. Et le Clairon, modeste blog d’amateur, a pour ambition de témoigner, par le texte et la photo, des réalités d’une nature proche et d’un habitat à taille humaine.

Beyrouth centre-ville de Raymond Depardon

index.1290174327.jpg Raymond Depardon publie dans le même temps l’ensemble de ses clichés inédits de Beyrouth et c’est poignant de voir la destruction d’une ville et sa reconstruction en une oasis plus irréelle et fragile que ne l’était le paradis d’avant.

Raymond Depardon est allé plusieurs fois à Beyrouth, avant, pendant et après la guerre :

          en 1965, à la demande du directeur de son agence pour photographier « les nouveaux St Tropez en méditerranée » ;

          en juillet 1978, à la demande du magazine allemand Stern pour photographier la guerre ;

          en novembre 1978, sans commande sur un coup de tête et sous le coup d’une déception amoureuse comme il le raconte dans « notes » avant de partir pour l’Afghanistan ;

          en juin 1991, à la demande de la fondation Hariri pour ramener des images du centre-ville détruit avant sa reconstruction ;

          en novembre 1998, pour le mois de la photographie.

Sa femme, Claudine Nougaret, ajoute le récit du tournage en 1984 dans Beyrouth ouest d’une vie suspendue, film de Jocelyne Saab (libano-franco-canadien)  sur lequel elle était assistante son.

Toutes les photos sont belles, en noir et blanc ou en couleurs, et le livre ne coûte que 9 €. Il est complété par une chronologie des évènements au Liban de 1861 à 2006, une occasion de se rappeler l’histoire en quelques pages.

Raymond Depardon conclut ainsi : « Je ne suis pas triste, pas de nostalgie possible. Sunnites, chiites, druzes, maronites, catholiques romains ou orthodoxes vivent ensemble aujourd’hui au Liban. Il faudra revenir voir le nouveau Beyrouth. »

Beyrouth reste d’une beauté et d’une insouciance fascinantes, comme une éternelle adolescente qui n’a pas encore commencé à vivre -une vie suspendue-. Si l’on n’éprouve pas de nostalgie, au moins éprouve-t-on de l’inquiétude pour la suite de l’histoire.

 

 

Lebanon : la guerre dans les films et les livres

Lebanon, primé Lion d’Or au festival du cinéma de venise, est actuellement en haut de l’affiche, après une série de films et de livres qui reviennent, 30 ans après, sur la guerre civile du Liban ( 1975-1990). On devrait d’ailleurs parler des guerres du Liban tant les voisins syriens, israéliens ont multiplié les intrusions sanglantes dans cette histoire.

Bien sûr Lina ( l’ami d’enfance de Mona) m’avait dit de lire « Pity for the nation » de Robert Fisk paru en 1990 (Liban, nation martyre paru en français en 2007), mais je préfère lire des romans plutôt que des récits documentés de journalistes.

les-belles-etrangeres.1265190990.jpg J’ai trouvé tout ce qu’il me fallait dans deux recueils parus en 2009, année où Beyrouth a été déclarée capitale mondiale du livre par l’Unesco.

Les douze auteurs de ce recueil ont en commun d’avoir vécu de près ou de loin la guerre civile . Chacun de leurs textes porte donc la trace, même décalée ou en filigrane, de cette récente tragédie. La Littérature Libanaise d’aujourd’hui offre ainsi un lieu de mémoire à un pays parfois tenté par l’oubli de lui-même.

Même si vous avez plus de 50 ans, vous n’avez sans doute pas de souvenirs très précis de la guerre du Liban qui a pourtant duré de 1975 à 1990.le-faussaire.1265198685.jpg

Peut-être avez-vous vu « Le faussaire » sorti en 1981, le film de Volker Schlöndorf avec Bruno Ganz et Hanna Shygulla qui raconte le reportage d’un journaliste allemand sur la guerre du Liban, reportage qui le renvoie aux désordres de sa vie amoureuse ?

Vous vous souvenez plus sûrement de « nos » otages au Liban : Marcel Fontaine, Marcel Carton et Jean Paul Kaufman des noms entendus 1000 fois autant que le nombre de jours de leur détention avec une mention spéciale pour Michel Seurat mort en détention, et aussi Philippe Rochot, Georges Hansen, Aurel Cornéa et Jean-Louis Normandin et Roger Auque … Et vous avez peut-être lu « les corbeaux d’Alep » le livre de Marie Seurat paru en 1988.

la-petite-montagne.1265189331.jpg Pourtant dès 1977 paraissait « La petite montagne » d’ Elias Khoury, récit poétique et engagé qui se termine par le cauchemar de ce que serait une guerre civile dans le métro parisien !!!

Cette première partie de la guerre garde un goût de révolution, les évocations de mai 68 ou du Chili d’Allende donnent une sorte de conclusion désillusionnée à ces romans. (y compris celui de Hyam Yared « Sous la tonnelle » paru en 2007 où une vielle dame ne quitte pas sa maison sur la ligne de démarcation pour y attendre un ami disparu dans les évènements de 68 à Paris.

Les Libanais eux-mêmes disent ne pas savoir comment la raconter, cette guerre complexe et interminable.

Wajdi Mouawad (l’auteur de« Seuls » la pièce interminable jouée à Avignon cet été) né en 1968 à Beyrouth, s’est installé au Canada à partir des années 1980 :

« Je n’ai rencontré aucun libanais qui soit en mesure de m’expliquer la guerre du Liban clairement ; D’ailleurs quand j’étais petit et que je posais la question très simple : qui tire sur qui ?, personne ne pouvait me répondre. Ce point est important. La guerre civile du Liban est très difficilement racontable aux générations qui l’ont subie…Pour ma part, il m’a fallu attendre ma vingtième année pour prendre conscience que mon enfance s’est déroulée en pleine guerre civile. Longtemps j’ai dit : « Moi je n’ai vécu que quatre ans de guerre ».

liban-contemporain.1265190087.jpg Georges Corm, qui dresse un portrait précis et documenté de l’histoire récente du Liban, dit autrement la complexité : « Les libanais sont morts de tant de façon différentes, pour des causes si multiples et sous le coup d’adversaires si divers, de l’extérieur et de l’intérieur. Ils ont ouvert la route de la mort à bien d’autres peuples ou communautés, dans les Balkans, en Afghanistan, en Tchétchénie….Il a été dangereux de s’émouvoir pour le Liban , car derrière chaque mort de Libanais, il était difficile de savoir qui se cachait : un Israélien, un syrien, un Palestinien, un phalangiste, un Frère musulman, Les Brigades Rouges, La bande à Baader, la mafia, un lybien… »

Paru en 1997, « Ville à vif » de Imane Humaydane Younes s’efforce de parler au travers des récits de quatre femmes (Liliane, Warda, Camillia et Maha) comment elles ont vécu la guerre au quotidien et perdu leurs proches

Et en 1998, c’est le film West-Beyrouth qui parle à tous les jeunes libanais de ce qu’ils ont vécu et dans lequel ils se reconnaissent. Une manière de resituer des vécus partiels, des souvenirs fragmentaires dans un récit collectif si complexe.

Et puis, la guerre de 2006 lancée par Israël sur le Liban (33 jours de bombardements qui détruisent tout le sud de Beyrouth jusqu’à la frontière et tous les ponts de toutes les routes) construit une formidable résistance tranquille et fait remonter les souvenirs des libanais comme des israéliens. Des romans, des bandes dessinées, des films, des pièces de théatre (les deux parfois) dont on parle beaucoup comme pour exorciser le remord d’avoir laissé si longtemps les libanais tout seuls.

le-jeu-des-hirondelles.1265190834.jpg Souvenirs d’enfance de Zeina Abichared (qui dessine un peu comme Marjane Satrapi :  » Persepolis ») qui a grandi pendant la guerre « Catharsis », «  Je me souviens », « mourir, partir, revenir : le jeu des hirondelles » 2007, qui ressemblent à ceux de Darina Al-Joundi « le jour où Nina Simone a cessé de chanter » (2008). Comment vivait-on dans Beyrouth sans eau, sans électricité, avec la ligne verte entre Beyrouth-est et Beyrouth-ouest ? Comment c’était les tirs, les bombardements, les abris, les réfugiés qui s’installaient dans les appartements vides, ceux qui émigraient et comment c’était des enfants qui n’avaient jamais vu le centre-ville ou la corniche alors qu’ils habitaient à deux pas ?

jm-aractingi.1265213125.jpg D’autres ont silloné le monde, partant et revenant sans cesse vers leur pays. Témoin privilégié des évênements, Jean-Marc Aractingi, spécialiste de géostratégie, dans son autobiographie ‘La Politique à mes trousses’,  évoque son enfance au Liban, sa venue en France afin d’y poursuivre ses études puis sa carrière de conseiller auprès de personnalités politiques du Liban, de la Centrafrique, des Comores et d’Haïti.

De leur coté, les israéliens enrôlés à 20ans dans une sale guerre se souviennent et racontent dans des récits autobiographiques pour ne pas devenir fous.

valse-avec-bachir.1265191745.jpg C’est « Valse avec Bachir » (2008 : le film , mais aussi le livre graphique ). Un Israélien, 30 ans après, essaie d’exorciser les rêves qui l’empêchent de dormir depuis l’invasion du Liban par Israël jusqu’à l’assassinat de Bachir Gemayel et aux massacres de Sabra et Chatila. C’est  aussi « Beaufort » (2008), c’est « Lebanon » qui remontent tous aux débuts de la guerre. Vraie repentance ou autre manière de justifier Israël ???

Les libanais ont juste besoin de montrer la folie d’Israël pendant la guerre de 2006 ; c’est « Sous les bombes » (2007) tourné par Philippe Aractingi pendant la guerre de 2006 avec des comédiens et des libanais, mais aussi « Je veux voir »(2008) , un peu semblable mais dans lequel joue Catherine Deneuve.

  « Chaque jour est une fête » nous amène sur les routes de l’arrière-pays libanais avec le récit de 3 femmes en direction d’une improbable prison .  Parmi ces trois réalisateurs, seul Philippe Aractingi semble un peu enraciné au Liban ; les autres semblent déjà loin, comme si le jour où le Liban sera vraiment libre et en paix, il risque de ne pas y avoir beaucoup de libanais pour y assister.

Car le Liban reste un pays où le conflit affleure constamment. Dans  « Falafel » (ci-dessous)  film de Michel Kammoun sorti en 2008 en France, la jeunesse beyrouthine s’abandonnerait bien à l’insouciance de son âge mais la violence sous-jacente de la société  rattrape vite les protagonistes.

Les attentats n’ont pas visé que les chefs politiques . Les journalistes ont payé un lourd tribut  pour leur liberté de parole (Samir Kassir Juin 2005, May Chidiac septembre 2005, Ghassan Tuéni décembre 2005). Samir et Ghassane sont morts, May se déplace en fauteuil roulant et a démissionné de son poste de journaliste politique.

Et tout le monde s’interroge sur la future guerre d’Israël au Liban contre le Hezbollah …

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Willie à l’ANPE

la-meilleure-part.1237395449.jpgWillie c’est un personnage  d’un roman dont on a beaucoup parlé  : La meilleure part des hommes (prix de Flore 2008) de Tristan Garcia qui s’inspire de l’histoire récente du mouvement homosexuel. J’y ai porté un intérêt particulier du fait que j’avais connu personnellement quelques acteurs de cette aventure. Avec Jean, fondateur de la revue le gai pied, premier magazine de la galaxie gay, Gérard et Nicolas, je vivais en 1977 en communauté, seul hétéro au milieu d’une joyeuse bande d’homos.

Le temps était au militantisme, déclinant pour moi en politique, bouillonnant pour ces amis impliqués dans le GLH , Groupe de Libération des Homosexuel, tendance PQ (?) Politique et Quotidien.C’était effectivement la fraction la plus politique du mouvement , la plus « sérieuse » en quelque sorte. Pas de « folles » excentriques ou de supermâles musclés en tenue de cuir (du moins en public …)

Et puis , la communauté s’est dissoute, on s’est perdu de vue.

actup.1237399881.jpgAprès la joie de l’affirmation et de la sexualité libérée, ce furent les années SIDA. Et un nouveau militantisme contre la maladie et sa prise en compte par la société, avec la fondation d’Act Up, et le lancement du Sidaction, dont on fête le quinzième anniversaire ce week-end. Je ne raconterai pas ces années, car je m’en étais éloigné et le livre finalement, à travers l’histoire de trois personnages, en donne une bonne vision.

Laissons la présentation du bouquin à son auteur :

Dominique Rossi, ancien militant gauchiste, fonde à la fin des années quatre-vingt le premier grand mouvement de lutte et d’émancipation de l’homosexualité en France. Willie est un jeune paumé, écrivain scandaleux à qui certains trouvent du génie. L’un et l’autre s’aiment, se haïssent puis se détruisent sous les yeux de la narratrice et de son amant, intellectuel médiatique, qui passent plus ou moins consciemment à côté de leur époque. Nous assistons avec eux au spectacle d’une haine radicale et absolue entre deux individus, mais aussi à la naissance, joyeuse, et à la fin, malade, d’une période décisive dans l’histoire de la sexualité et de la politique en Occident. Ce conte moral n’est pas une autofiction. C’est l’histoire, que je n’ai pas vécue, d’une communauté et d’une génération déchirées par le Sida, dans des quartiers où je n’ai jamais habité. C’est le récit fidèle de la plupart des trahisons possibles de notre existence, le portrait de la pire part des hommes et – en négatif – de la meilleure. 

 

anpe.1237397648.jpg

Le second intérêt que j’ai porté à ce livre réside au chapitre 19 ( dont les bonnes feuilles se trouvent ICI) . Il se trouve que Willie, artiste marginal, un temps célèbre, est inscrit à l’ANPE. A sa grande surprise, il reçoit un jour une convocation pour un entretien avec un conseiller de l’agence. Que va-t-il faire ? Profil bas en feignant de s’intéresser aux propositions de son conseiller ? Non ! plutôt jouer le grand jeu de la « folle » délirante, dont le pauvre conseiller ANPE devient la victime innocente.  S’en suivent quelques scènes rocambolesques où Willie va mettre sens dessus dessous l’agence et ses employés. La fantaisie et le comique sont  au plus haut, même si quelquefois je me retrouvais en imagination à la place du malheureux Jean-Philippe Bardotti, conseiller acculé à la démission pour échapper à la comédie finalement cruelle de son demandeur d’emploi.

Le livre rapporte ensuite les efforts des militants, dont dominique Rossi, fondateur de Stand Up (Act Up en réalité) pour développer la prévention contre le SIDA. Mais au fil des ans , une nouvelle génération, dont Willie,  récuse ces priorités et vient contester les leaders historiques . C’est sur cette toile de fond que se développe l’hostilité grandissante entre Dominique et Willie, jadis amants, désormais ennemis jusqu’à la tombe.

Au terme de cette histoire, l’auteur, empruntant la voix de la narratrice, s’interroge : d’un coté des  » êtres humains dont toute l’importance est exhibée, sous forme de faits, de réalisations, de discours parce qu’ils parlent, parce qu’ils agissent et qu’ils travaillent… » de l’autre coté ceux « dont toute la valeur, toute la vie, est à l’intérieur » que seule une proximité bienveillante permet de découvrir. C’est plutôt à ces derniers, aux Willie que l’auteur reconnaît la meilleure part des hommes.

Une question grave qui s’adresse à chacun de nous, lecteurs.

C’est le moment de faire un don pour le SIDACTION

 

Lisez Catherine Millet

  De Danièle

J’avais beaucoup aimé le premier livre de Catherine Millet (« La vie sexuelle de C.M. »).

catherine-m.1222156900.jpg Exposer sa vie sexuelle simplement, sans honte ni envie de choquer, juste avec la petite fierté de celle qui en a vu beaucoup et qui est allée au bout de sa curiosité, j’avais trouvé ça bien. Qu’une femme tout à fait respectable (directrice de revue, et tout et tout…) puisse raconter publiquement qu’elle fait ce qu’elle veut de son corps, avec qui elle veut, et que la jouissance physique n’a pas grand-chose à voir avec les sentiments, j’avais trouvé ça très bien. 

Je n’avais rien lu de tel depuis le journal d’Anaïs Nin !

Bien sûr, je me disais qu’elle se mettait souvent en danger ; Et puis, j’étais curieuse de savoir ce qu’en pensait Jacques, son compagnon dont elle parlait tant.

 

jour-souffrance.1222156799.jpg « Jour de souffrance » nous l’apprend avec la même franchise. Jacques désapprouve complètement sa vie sexuelle multiple, mais plus encore, quand elle s’est aperçue que Jacques avait aussi des aventures, elle est devenue malade de jalousie. Elle nous raconte sa crise,  qu’elle nomme elle-même « de folie ». Ouvrant les lettres, fouillant l’ordinateur, imaginant les autres, les voyant partout, posant des questions, recoupant les preuves, ne dormant plus…Une vraie jalousie, entière, destructrice, insurmontable qui la conduit à des bassesses qu’elle se reproche.

Comment Jacques a-t-il vécu cela ? C’est dit du point de vue de Catherine, mais pas de celui de Jacques. On sait qu’il a tenu bon,  c’est tout !

 

Voilà des livres qui valent bien des manuels de philosophie  pour ce qu’ils nous apprennent des relations du corps et de l’esprit et de notre rapport à l’autre :

         Jouissance et jalousie sont les deux faces d’une même médaille : toutes les deux dans la tête et dans le corps, deux émotions violentes nécessaires à notre survie et pas du tout « raisonnables ».

         On peut être imaginatif, réflexif, introspectif et quasiment clinique dans l’observation de soi comme l’est C.M. sans arriver à imaginer ce que pense et ressent l’autre. Elle avoue elle-même n’avoir jamais pensé à ce qu’il pouvait ressentir ; elle a juste pris soin de cacher ses aventures lorsqu’il lui a dit sa désapprobation. Et a écrit « sa vie sexuelle… » quand elle sortait de sa crise de folie (pour en sortir ?)

 

Et les sentiments dans tout cela ? C’est sans doute tout autre chose : de l’attachement, de l’admiration, du respect,  de l’étonnement, du bien-être, de l’harmonie, de la douceur, de la protection l’un vis-à-vis de l’autre, du nourrissage de l’un par l’autre, la joie de la vie au quotidien sans rien de spécial…

Et la fidélité ? Pas un principe, mais une règle de prudence pour ne pas faire souffrir l’autre (en imaginant ce que l’on endurerait si….)

 

Traduite en 45 langues, vendue à près d’un million d’exemplaires rien qu’en France, Catherine Millet n’a pas besoin de ma publicité. Lisez-la tout de même, elle en vaut la peine.

Rencontre avec Pierre Magnan

En janvier dernier, le Clairon faisait la découverte de Pierre Magnan avec La folie Forcalquier , une sombre et alerte intrigue qui se déroule, à la fin du XIXème siècle dans cette Haute-provence si chère à son auteur.

Le Clairon ne pouvait donc pas manquer cette soirée annoncée à Civrieux d’Azergues , le 8 mars (le compte-rendu est tardif, mais mieux vaut tard que jamais !).

Pierre Magnan était invité par Effervescence, une association culturelle du village qui l’avait déjà rencontré sur ses terrres, au cours d’un week-end touristique et littéraire. Pas question de « conférence » pour ce jeune homme de 85 ans qui lui préfère la discussion à batons rompus autour de son oeuvre romanesque.

Alors les lecteurs d’Effervescence ont courageusement pris le micro pour présenter trois livres à une assistance de lecteurs fidèles, ou de curieux prêts à la découverte : La maison assassinée qui relate la tragédie de Séraphin, seul survivant d’un massacre qui a décimé sa famille, Les courriers de la mort, une aventure du commissaire Laviolette, l’enquêteur fétiche de notre auteur et Laure du bout du Monde, l’histoire d’une gamine qui vient au monde à Eourres ( » Eourres, c’est la fin du monde ou en tout cas son extrème bord ») et qui surmontera avec son énergie et sa grâce tous les obstacles que lui opposeront ce pays sauvage et ses habitants durs à la tâche.

« Mais où va-t-il chercher toutes ces histoires ? » Les questions des lecteurs tournent principalement autour de la place respective de l’imagination et du réel dans l’inspiration de notre écrivain, notamment pour ce personnage de Laure

 » Je suis venu à écrire par jalousie » répond-t-il quand on lui demande comment il a commencé à écrire. Il fut d’abord un lecteur passionné par tous les grands de la littérature et tellement désireux de se mesurer à leur talent. Dans cette découverte, Jean Giono, le voisin de Manosque, a joué un rôle décisif.

Le Contadour , dont parle Pierre Magnan, rassemblait sur les hauteurs de la montagne de Lure, à l’initiative de Jean Giono, une petite foules d’écrivains, d’intellectuels et de jeunes gens prêts à réinventer le monde.

A Civrieux, ce soir-là, notre romancier reprend le fil de ses histoires où se mèlent les vrais faits divers, les vrais personnages de sa provence natale et le fruit d’une imagination féconde et d’un grand sens de l’intrigue. Les questions en viennent à La folie Forcalquier.

chateau-hante-magnan.1212137321.jpgLa soirée se termine bientôt par la traditionnelle séance de dédicace. Sur la table, quelques titres, juste un petit aperçu de l’oeuvre de Pierre Magnan qui rassemble 25 titres vendus à plus d’un million d’exemplaires, dont la plupart en Folio Poche ( « je suis l’écrivain des pauvres » aime-t-il à rappeler).

Pas encore disponible ce soir-là, mais sous presse et paru postérieurement le 15 avril, la dernière oeuvre que mûrit patiemment depuis des années notre écrivain : Chronique d’un chateau hanté qui nous ramène en février 1349 à Manosque , en pleine peste noire. Le livre fait revivre la Provence d’autrefois en racontant les aventures de six générations du XIVe siècle à nos jours.

Cette soirée nous a permis de découvrir ou de mieux connaître un écrivain ancré dans son terroir mais animé d’une curiosité insatiable vis à vis de ses semblables, de leurs histoires et de leurs pays, et toujours prêt à aller à la rencontre de ses lecteurs.

Underground


Le Sonic est amarré sur la Saône sous les ponts Kirchener-Marchand, celui de l’A6 et celui du TGV ;sonic.1201886972.jpg c’est une adresse discrète à la sortie du tunnel de Fourvière, en bas de la montée de Choulans qu’il est toutefois possible d’atteindre à pied en toute sécurité dès lors qu’on a réussi à garer sa voiture. Une île paisible cachée sous la plate-forme intermodale du grand Lyon.

A l’intérieur, c’est tout rouge avec des lumières bleues, très simple aussi : un bar, une banquette et une scène et les flots de la rivière au ras des hublots.

l-ombre-du-8.1201887150.jpg Nous sommes venus pour le concert de « l’ombre du huit » et je refuse, dans un premier temps, les bouchons d’oreille en les prenant pour des bonbons.

Et c’est fort comme musique et malgré la tequilla sunrise, il faut s’accrocher. . Je prends les bouchons d’oreille quand le chanteur présente son groupe. Je ne comprends pas les paroles mais Norbert me conseille de ne pas m’approcher. Je ne vois pas bien le chanteur non plus car une petite foule se tient debout devant la scène et applaudit à tout rompre. Il est déchaîné et très mignon, gesticulant comme un vrai rockeur avec sa guitare en bandoulière. Le batteur met tant d’ardeur dans ses frappes que je n’arrive pas à retenir la mélodie, mais c’est une musique très forte et vraiment underground.

Les spectateurs sont jeunes et parfaitement disciplinés malgré la bière qu’ils éclusent dans de grands gobelets en plastique et ils vont tous fumer sur le pont.

Je vous recommande cet underground très propre pour une soirée agréable et dépaysante à deux pas de chez vous.

Par Danièle

Et puis (note de la rédaction)

-une autre péniche à Lyon, sur la Saône aussi, mais rive gauche, en aval, au niveau de la Sucrière (La péniche Loupicka) un jeune groupe rock en concert ce samedi 2 février : Les élans d’Arkel

– loin de la scène rock, une pop un peu sucrée mais fraîche, d’une israélienne de Paris, Yael Naim .

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Livres : de la Provence … au Kivu

Des vacances sédentaires, les brouillards givrant qui cernent la maison, c’est une bonne saison pour s’évader, découvrir, réfléchir, s’amuser,près d’un feu dans la cheminée, bref lire

La folie Forcalquier

Pierre Magnan a démarré une carrière littéraire sur le tard ( à 55 ans) à la suite d’un licenciement économique. Avec Le Sang des Atrides, il connaît, en 1978, le succès en recevant le Prix du Quai des Orfèvres. Il est l’inventeur de ce qu’on pourrait appeler le polar provençal.

Avec une vingtaine de romans, publié à plus d’un million d’exemplaires en livre de poche, « Je suis l’écrivain des pauvres » s’enorgueillit l’auteur qui souhaite également le développement de la lecture par le biais des bibliothèques publiques.

« La folie Forcalquier » se déroule dans cette Provence retirée, entre Le Lubéron, le Mont Ventoux et la montagne de Lure , une micro-région dont Magnan connaît le tracé de chaque sentier, le parfum de chaque bosquet et l’histoire de chaque hameau. Il met en scène une sorte de Robin des Bois provençal évoluant dans une société villageoise traversée par les conflits politiques et sociaux du Second Empire.

Cette aventure illustre parfaitement l’art de Pierre Magnan : son habileté à dérouler une intrigue – même lorsque ses développements frôlent l’invraisemblable, une narration qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Et puis tous les sens mobilisés pour nous restituer les merveilles et les mystères de sa Provence natale.

Ecrivain acharné, il vit aujourd’hui à Forcalquier, à 85 ans, toujours attelé à poursuivre son œuvre et alimentant son site internet . Son dernier roman «Chronique d’un château hanté » devrait paraître prochainement.folie-forcalqier.1200060240.jpg

 

Présentation de l’éditeur :
 » C’était un alignement de cinq cadavres dans un ordre parfait. A égale distance les uns des autres, les orteils dressés vers le ciel, les paletots reboutonnés, même s’il était patent qu’ils eussent subi quelque désordre, les mains ouvertes dans le prolongement des bras collés au corps, les yeux fermés et tous comme au garde-à-vous. On avait dû profiter de ce qu’ils étaient encore chauds pour procéder à cette mise en scène.  » Crime politique, affrontement entre bandits de grand chemin ou implacable vengeance ?

 

Le chant de la mission
C’est étonnant, mais j’ai découvert John le Carré, il y a peu, alors que son premier grand succès « l’espion qui venait du froid » date de 1963. Pourquoi cette ignorance ? Sans doute l’avais-je rangé dans la catégorie «romans d’espionnage » qui ne s’enorgueillit pas à mes yeux de compter dans ses rangs de nombreux SAS ou autres James Bond. John Le Carré est un véritable romancier ; ses personnages ont une épaisseur, une identité particulière qui dépasse largement le standard de l’agent secret tel qu’on l’imagine couramment : on y trouve une collection d’idéalistes, de faux cyniques, de ratés, de passionnés, de naïfs déniaisés qui sont tous terriblement attachant.

John Le Carré est l’auteur de la Guerre froide. Nul n’a, mieux que lui décrit les intrigues secrètes et sanglantes qui se tramaient des deux cotés du Mur.

Ses derniers romans (La patience du jardinier et le présent livre) parlent de l’Afrique, une Afrique jeune, multiple, pleine de vie mais théâtre des sombres manoeuvres des puissances occidentales et des multinationales.

Le chant de la mission se situe entre Londres et une île de la mer du Nord, bien loin du Kivu (Nord-Est du Congo) natal de Salvo, notre héros. C’est un livre qui passe par l’oreille, comme tout ce qui compte pour Salvo, interprète surdoué, attentif aux moindres intonations des interlocuteurs, et habile à transposer une maxime détournée, un mot d’esprit , ou une menace voilée, d’une de ces multiples langues d’Afrique centrale vers la plupart des langues européennes.

En une journée, cette conférence de conspirateurs hétéroclites s’imagine changer, à leur profit, le cours de l’histoire de cette région des grands lacs déjà bien martyrisée. Mais la vraie vie en décide autrement.

Un grand John Le carré !

Pour en savoir plus sur la situation au Kivu:

Le rapport de Human Rights Watch

 

Un accord de paix a été trouvé dans le conflit du Nord-Kivu
LEMONDE.FR | 21.01.08

© Le Monde.fr

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Présentation de l’éditeur
Fils naturel d’un missionnaire catholique irlandais et d’une villageoise congolaise, Bruno Salvador, alias Salvo, a gardé de son enfance africaine une passion immodérée pour les langues. Devenu interprète éminent, il est régulièrement sollicité par de grandes entreprises et des tribunaux, mais aussi par le Renseignement britannique. Envoyé sur une île perdue pour une mission d’interprétariat lors d’une conférence secrète entre des bailleurs de fonds occidentaux et des chefs de guerre rivaux dont l’objectif affiché est de rétablir l’ordre et la paix en République démocratique du Congo, il devient malgré lui le seul témoin des machinations cyniques qui s’ourdissent dans l’ombre pour dépouiller de ses richesses un pays déjà ravagé par la guerre. Or l’amour qu’il porte à Hannah, la belle infirmière congolaise, a rallumé en lui l’étincelle de la conscience africaine qui couvait sous l’éducation catholique rigide jadis reçue à l’école de la Mission. Le naïf Salvo saura-t-il s’affranchir des inhibitions qui le brident pour devenir le héros d’un noble et dangereux combat ?