Houellebecq reçoit le prix Goncourt pour La carte et le territoire.
Houellebecq, un vieux copain dont on aurait du mal à faire un ami
Par Danièle
J’ai lu tout Houellebecq depuis qu’il est édité, avec des bonheurs divers. Les Particules élémentaires et La possibilité d’une île sont à mon avis les plus mauvais. J’ai une grande tendresse pour Plateforme et Extension du domaine de la lutte. La carte et le territoire fait une honnête moyenne, tendre et malheureux juste ce qu’il faut avec cette relation au père qui nous concerne tous, cynique et prophète de café du commerce avec la désindustrialisation de la France et le marché de l’art. Pas de plan cul dans ce dernier livre, pas une seule femme dans ce livre si ce n’est la tenancière de l’entreprise suisse d’euthanasie (j’oubliais Olga, tellement irréelle et désincarnée qu’elle ne laisse pas de trace !).
Houellebecq est un contemporain qui vieillit avec moi et n’aurait jamais trouvé le moyen d’être heureux :
J’avais lu Extension du domaine de la lutte lorsqu’il est paru à cause de son titre (et puis aussi « rester vivant » et « La poursuite du bonheur » autres titres si parlants pour les jeunes adultes que nous étions alors) et j’y suis revenue lorsque des collègues de l’agro [Institut National Agronomique – Houellebecq est de la promotion 1975 , Danièle de la 1970] me l’ont prêté en me précisant que l’auteur était un dingue de leur promo.
Extension du domaine de la lutte, c’est l’époque de l’introduction des systèmes informatiques dans les administrations, le début des changements qui ne cesseront plus, l’apparition des risques psycho-sociaux à travers la morgue de la hiérarchie des grands corps de l’Etat (l’Igref)…mes débuts dans la carrière administrative.
Les particules élémentaires, c’est l’année de classe de première pour ma fille au lycée Edouard Herriot à Lyon. Son professeur de français tenait ce livre pour un chef-d’œuvre ! Beaucoup d’enseignants d’ailleurs ont adoré et conseillé ce livre ; pour moi, c’est le glas des années 60, d’une certaine conception de la jeunesse et de la liberté, de l’insouciance, un peu coupable. Ah, l’Espace des Possibles ! Centre de vacances alternatif , à la réputation un temps sulfureuse, qui le fréquente encore ?
Quand j’ai lu Plateforme, j’étais amoureuse et j’ai beaucoup aimé cette expression sincère d’une sexualité tendre. Elle, le magazine féminin (gage de féminisme ?…), avait d’ailleurs fait une critique très élogieuse du livre.
La possibilité d’une ile, j’en ai sauté la moitié, sans gravité pour la compréhension de l’ensemble. C’est un peu le rien, sans construction, sans regard sur notre quotidien, avec beaucoup trop de cul pour remplir le vide.
Avec La carte et le territoire, c’est ma jeunesse qui s’en est allée. Le temps de la maturité, le goût de la nature retrouvée, les visites au galeries d’art pour passer le temps, la mort des autres et la pensée de la sienne propre, l’indifférence au temps qui passe parce qu’il se fera sans nous.
Je ne sais pas si Houellebecq est un grand écrivain, mais c’est le seul dont j’achète toujours les livres dès qu’ils paraissent pour savoir ce qu’il pense comme ceux d’un vieux copain qu’on ne perd pas de vue. On dit qu’il est en prise avec l’époque. Je pense qu’il est surtout aux prises avec lui-même, comme nous le sommes tous et c’est sans doute pour cela qu’il déchaine de telles passions. On aimerait qu’il soit plus heureux, qu’il fume et boive moins, mais pas question de l’inviter : il vous pourrirait la soirée !
La France de Raymond Depardon
Passer de Houellebecq à Depardon, est-ce vraiment passer du coq à l’âne ? Le photographe tendre, respectueux de ses sujets et le romancier cynique et provocateur, quoi de commun ?
L’artiste Jed Martin, le héros du roman de Houellebecq, après avoir photographié de multiples objets industriels avec un point de vue descriptif, le plus objectif possible, va s’intéresser aux territoires de cette france rurale. Donner un relief , une perspective en mixant des photos des paysages avec des cartes Michelin au 1/200 000, mieux que Googleearth !
Depardon, d’abord grand reporter aux quatre coins de la planète, s’interesse depuis quelques années au terroir et à ceux qui y survivent (la série de films Profils paysans). Avec ce livre et l’exposition correspondante à la BNF, le voici parti dans une nouvelle aventure : rendre compte de la France des sous-préfectures, avec une méticulosité objective et exhaustive.
Le voici parti en camping-car (un fourgon aménagé Trigano), à travers les petites routes de l’hexagone, avec un goût particulier pour les vitrines de bar-tabac et les carrefours de petites villes que le touriste ne traverse jamais. Ces images descriptives, avec la précision de la définition , des couleurs autorisée par la chambre, appareil encombrant héritier des premiers techniques photographiques, révèlent des populations dynamiques qui trouvent (ou retrouvent) de l’énergie pour améliorer, transformer leur cadre de vie , auquel elles sont attachées malgré les délocalisations, le recul des services publics et le départ des jeunes vers les métropoles.
Cette démarche d’un grand artiste nous touche particulièrement car nous partageons, Danièle et moi, ce goût des vadrouilles en camping-car hors des grands axes de circulations et des poles d’attraction touristique. Et le Clairon, modeste blog d’amateur, a pour ambition de témoigner, par le texte et la photo, des réalités d’une nature proche et d’un habitat à taille humaine.
Beyrouth centre-ville de Raymond Depardon
Raymond Depardon publie dans le même temps l’ensemble de ses clichés inédits de Beyrouth et c’est poignant de voir la destruction d’une ville et sa reconstruction en une oasis plus irréelle et fragile que ne l’était le paradis d’avant.
Raymond Depardon est allé plusieurs fois à Beyrouth, avant, pendant et après la guerre :
– en 1965, à la demande du directeur de son agence pour photographier « les nouveaux St Tropez en méditerranée » ;
– en juillet 1978, à la demande du magazine allemand Stern pour photographier la guerre ;
– en novembre 1978, sans commande sur un coup de tête et sous le coup d’une déception amoureuse comme il le raconte dans « notes » avant de partir pour l’Afghanistan ;
– en juin 1991, à la demande de la fondation Hariri pour ramener des images du centre-ville détruit avant sa reconstruction ;
– en novembre 1998, pour le mois de la photographie.
Sa femme, Claudine Nougaret, ajoute le récit du tournage en 1984 dans Beyrouth ouest d’une vie suspendue, film de Jocelyne Saab (libano-franco-canadien) sur lequel elle était assistante son.
Toutes les photos sont belles, en noir et blanc ou en couleurs, et le livre ne coûte que 9 €. Il est complété par une chronologie des évènements au Liban de 1861 à 2006, une occasion de se rappeler l’histoire en quelques pages.
Raymond Depardon conclut ainsi : « Je ne suis pas triste, pas de nostalgie possible. Sunnites, chiites, druzes, maronites, catholiques romains ou orthodoxes vivent ensemble aujourd’hui au Liban. Il faudra revenir voir le nouveau Beyrouth. »
Beyrouth reste d’une beauté et d’une insouciance fascinantes, comme une éternelle adolescente qui n’a pas encore commencé à vivre -une vie suspendue-. Si l’on n’éprouve pas de nostalgie, au moins éprouve-t-on de l’inquiétude pour la suite de l’histoire.
Chers Danièle et Norbert,
Je vous félicite !!!
Votre « rentrée 2010 des livres » est tout aussi remarquable que vos précédentes publications. Je me réjouis d’être sur la liste des heureux destinataires.
Amicalement
Michelangelo
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bravo , pour autant d’acuité et d’originalité dans les commentaires literaires et trés humains !
Votre dernier regard sur un coin que j’ai bien connu , vers Domartin , m’a beaucoup plu , ainsi qu’à Anne marie MUNTZER qui a habité cet endroit
Je suis toujours passionné par l’andalousie , ou j’ai encore fait un séjour de recherche de mes ancetre séfardim !
je n’ai pas votre plume , mais tacherai de partager bientot
un grand salut fraternel
richard atlan
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Bonjour,
et merci pour cette « rentrée littéraire ». Voilà comment on aimerait que les libraires proposent leurs livres plutôt que de se contenter de les vendre sans savoir, pour une bonne partie d’entre eux, ce qui y est écrit.
Bonne fin d’année… en attendant le prochain épisode du « Clairon ».
Jean-Bernard F.
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