(Croquer la vie à pleines dents)
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Respirer, Boire, Manger, Bouger. Voilà bien les fonctions essentielles pour tous les organismes animaux, dont nous faisons partie. On y pense quelquefois, on oublie souvent. Heureusement ! Cette évidence, cette insouciance, voilà bien le privilège de la bonne santé. Et rien de tel qu’un épisode de défaillance fonctionnelle pour en retrouver la conscience.

Comme tout le monde j’avais connu des petits soucis dentaires, ces périodes où il nous est interdit de mâcher le temps qu‘un plombage durcisse ou qu’une couronne se stabilise. Avec l’âge ça ne s’arrange pas.
Mais dernièrement l’affaire est devenue plus sérieuse. Plus aucune dent ne pouvait être sauvée. Il fallait tout extraire et prévoir des prothèses, avec des implants pour les stabiliser.
Le dentiste, mon entourage, tout me poussait à prendre la décision.
Ce n’est qu’un mauvais moment à passer !
Je ne m’étendrais pas sur l’opération d’extraction elle-même. L’anesthésie a fait son œuvre, j’entendais chaque dent tomber sur le plateau du dentiste. C’est plus tard, au réveil des nerfs endormis qu’on déguste. S’ouvre alors une période à la durée indéfinie où on cherche le salut auprès des médicaments anti-douleurs. C’est un calvaire mais on se dit que demain ça ira mieux. Je pense que, si les dentistes disaient la vérité, on n’accepterait jamais de se faire arracher les dents. Ne dit-on pas « menteur comme un arracheur de dents ? »
Ça va bien se passer !
En théorie on peut installer les prothèses provisoires, en pratique la gencive est trop sensible pour supporter quoi que ce soit. Me voici amené pour un bout de temps dans la situation des « sans dent » moqué, parait-il, avec mépris par le président Hollande. Alors il faut adapter son régime alimentaire et retrouver la gastronomie des premiers mois de notre vie. Et d’abord faire des courses adaptées. Et c’est là dans les rayons des supermarchés que je découvre l’univers du mou.
Petit déjeuner :
C’est au rayon petit déjeuner que je vais trouver l’offre la plus abondante. Classiques, les diverses brioches, gâches vendéennes et autres pandorro me promettent le fondant adapté à mon état. Ils tiennent toujours la vedette sur les rayons.

Mais ce qui me sidère c’est l’explosion des pains de mie : blancs, complets, avec ou sans croûte, grands formats pour tartine ou sandwich, ou petits destinés aux toasts. Mais tous partagent la même consistance, celle qui avait fait la réputation des « sandwichs SNCF ». Aucun cependant n’annoncent la mollesse, ils ne sont pas mous, ils sont tendres, moelleux mais aussi « puissants, ils se proclament «sans huile de palme » mais n’affichent pas la matière grasse indispensable à leur souplesse.
Les amuse-gueules ne sont pas en reste : les bouchées au maïs soufflé au goût de fromage qui fondent dans la bouche sont toutes présentées comme « croustillantes », on se demande où on peut trouver la croûte annoncée.

Question dessert, les contrastes se renforcent : les « croquants » du midi ( Provence, Corse) annoncent la couleur. Sur leurs amandes, leurs noisettes on peut vraiment se casser des dents fragiles. A l’autre bout, les fondants, coulant au chocolat puis les desserts lactés qui s’échelonnent entre liquide (à boire) et onctueux (à la cuillère).
Mais que choisir en plat principal ? Il y a des spécialités qui nous évitent les petits pots pour bébés et qui sont amies des édentés : Les quenelles, les purées de légumes, l’aligot, la brandade de morue, le boudin, les terrines de poissons…
Et puis il y a ce qu’on peut confectionner à la maison à partir de légumes cuits à la vapeur et passés soit au mixeur plongeur (ça donne des soupes, des potages), soit au blender (ça nous donne des mousses fines et délicates).
Il y a donc toute une gastronomie possible qui nous permet de survivre un temps sans mâcher. On peut tout à fait satisfaire nos besoins alimentaires.
Mais au fil des jours, on se rend compte que l’appétit s’amenuise, que l’envie de passer à table se réduit.
Vient le jour où on va retrouver le mordant des prothèses. Pas encore de quoi croquer une pomme entière, comme on le voit dans les publicités pour les colles à dentier, juste de quoi mâcher, ça change tout. On redécouvre le désir, le plaisir de manger.
Alors, conclusion : prenons soin de nos dents (d’origine quand elles tiennent le coup) ou de nos prothèses en veillant à ce qu’elles soient bien adaptées par un professionnel compétent et attentionné.
Prochaine étape : des implants pour arrimer les dentiers. Encore des périodes délicates et… un trou dans mon budget !