Michel – La cérémonie des adieux

Comment aborder les derniers moments et la mort de son ex-compagnon et père de Claire, sa fille ? Comme souvent, Danièle s’est tournée vers les livres.

Michel est mort le 7 avril 2010 à 76 ans. Depuis l’annonce de l’imminence de son décès, j’avais entrepris la lecture de « La cérémonie des adieux » que Simone de Beauvoir a écrit entre 1970 et 1980 sur Jean Paul Sartre, mort à 78 ans le 15 avril 1980, jankelevitch.1271694777.jpgen parallèle avec « La mort » de Vladimir Yankéléwitch et « Lettre aux papy-boomers qui ne veulent pas vieillir » de Marie de Hennezel .

Je ne crois pas que l’on puisse apprendre à mourir comme le préconisait Montaigne, mais on peut essayer de « penser la mort » comme le fait Vladimir Yankélévitch, car c’est une question qui nous concerne tous. Depuis longtemps, je lis tout ce qui concerne la mort, non pas la mort accidentelle qui fauche les gens en pleine vie comme mon frère Jacques, ou la mort brutale par infarctus évoquée dans « L’année de la pensée magique » de Joan Didion ou la mort de ceux qui décident de partir ensemble comme Stephan Zweig ou André Gorz « Lettre à D. » mais la mort comme fin de vie avec la maladie, le déclin, la déchéance qui vont avec.

Cela m’importe comme question personnelle mais aussi comme question politique fondamentale. Nous serons la première génération à accompagner nos parents aussi longtemps après leur première perte d’autonomie et nous serons la première génération à finir longtemps après avoir perdu nos sens, notre autonomie à nous habiller seul, à nous nourrir seul, à nous laver seul, à nous déplacer seul, notre apparence corporelle et notre esprit en plein état de marche. J’ai envie de savoir ce que l’on dit, ce que l’on pense, ce que l’on veut à l’instant de mort et pas seulement de réfléchir avec mes catégories de bien-portante de « seulement » 59 ans.

« Des phrases courtes, ma chérie » de Pierrette Fleutiaux, «La voyageuse de nuit » de Françoise Chandernagor, « La vie en sourdine » de David Lodge parlent de la mort des parents et évoquent plus la difficulté de ceux qui restent.

« La cérémonie des adieux », dix ans de déclin de Sartre qui, d’AVC en pneumopathie, est devenu confus, aveugle, impotent, tout en continuant de fumer et de boire beaucoup trop de whisky.

« La touche touche-etoile.1271695271.jpgétoile » de Benoîte Groult ou « Sur la plage, un homme en noir » de Marina Vlady parlent de la mort des compagnons de vie ou de la sienne propre. Il y a aussi des livres que je n’ai pas pu lire comme « un moment de faiblesse » de Jean François Bizot qui raconte sa lutte, un moment victorieuse, contre le cancer car je savais la suite dont justement il ne parle pas.

 

Personne, ni Jean Paul Sartre, ni Léon Schwartzenberg (raconté par Marina Vlady), ni Vladimir Yankéléwitch n’avait envie de voir sa vie abrégée quelles que soient ses souffrances ou sa déchéance. Quoi qu’ils aient dit de leur volonté de savoir si leur dernière heure était arrivée, ils n’ont jamais souhaité en savoir plus le moment venu. Quoi qu’ils aient évoqué auparavant concernant une éventuelle euthanasie, ils n’en n’ont pas reparlé sur leur lit de mort. Il leur était doux que l’on s’occupe d’eux jusqu’au dernier souffle, quelles que soient les atteintes à leur intégrité physique ou à leur autonomie. Leur crainte ultime était de mourir seuls, sans personne autour d’eux.

 

Michel est mort chez lui, entouré jusqu’à la fin, conscient de ne plus être ce qu’il avait été et l’acceptant presque toujours, dormant la plupart du temps, incapable de tout et souffrant beaucoup malgré la morphine mais sollicitant les soins auxquels il avait droit et refusant de croire presque jusqu’au bout que la fin était arrivée.

Dernière leçon de Michel enseignant, questionnement profondément actuel, invitation à réfléchir, occasion d’aller à l’encontre de l’évidence, opportunité de penser autrement … tout ce qu’il revendiquait !

5 commentaires sur “Michel – La cérémonie des adieux

  1. Ce texte m ‘ émeut particulièrement , merci , Danièle .
    Moi, qui suis à l ‘ aube de mes 70 ans , qui ai vécu pourtant la fin de vie de ma mère , appartenant , comme tu le dis , et ce provisoirement , à la catégorie des bien – portants , c ‘ est une question que j’ esquive , je l ‘ évacue tout simmplement et pourtant ……il faudra bien s ‘ y mettre tout en vivant sa vie , expérimantant sans cesse , jusqu’ au bout …..décidément tu me donnes envie de lire Jankelewitch …..

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  2. chers vous deux,

    Affections à Danièle, et à sa fille, en ce moment surement très difficile.

    Ayant enterré pere et mère du cancer, dans des conditions trsè douloureuses, ainsi que deux jeunes amies mere de famille (42 ans toutes les deux respectivement 2 et 6 enfants), je connais un pêu ces douleurs inguérissables qui alourdissent peu à peu notre valise de vie.

    Anne BJ.

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  3. Danièle, par hasard, j’ai appris le décès de Michel Sebilotte car jeudi dernier jour du pot de départ de F.Gélis, nous attendions L.Hémidy qui était parmi ceux qui représentaient l’INRA à ses obsèques. Je n’ai pas fait le lien immédiatement !
    Je me retrouve dans ton texte, ce que tu dis de notre génération qui accompagne ses parents et qui aussi devine son propre avenir, me touche beaucoup.
    Je souhaite que ta fille et toi traversiez cette épreuve ensemble en partageant votre souffrance.
    je t’embrasse Viviane

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  4. Merci à Daniele de ce joli texte, si profond. Certains des livres que tu cites (la cérémonie des adieux, la voyageuse de nuit, plus récemment, la vie en sourdine,…), je les ai lus il y a longtemps, mais avec l’âge qui progresse, la mort et la maladie qui touchent de plus en plus de monde autour de nous, la fatigue des ans aussi, la perspective est différente, plus intime, à la fois plus familière et plus menaçante. Tu nous incites donc à lire et à relire…
    Je t’embrasse bien fort toi et ta fille (et Norbert aussi bien sûr)
    Maeva

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  5. Je sais, je lis ces écrits tardivement. Ca me touche parce que mon père, ce héro de jeune gamine, n’est plus que l’ombre de lui même. Ca me touche parce que je voudrais qu’il n’ait rien à se reprocher le jour J. Ca me touche parce que, malgré mon âge, malgré tous les reproches que j’ai à lui faire, je l’aime, tout bêtement.
    Voilà ca que ton écrit m’a évoqué. C’est plus profond qu’il n’y paraît et personne ne comprend réellement. Merci

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