Les attentats des 7,8 et 9 janvier nous ont bouleversés. Nous sommes nombreux dans notre entourage à avoir participé aux grandes manifestations du 11 janvier, avec notre pancarte « Je suis Charlie ». Dans les cortèges, des citoyens ordinaires, plutôt bien insérés, beaucoup d’anciens soixante-huitards comme moi. Et puis des jeunes parents , des enfants… Comme notre famille ci-dessous. Cette mobilisation historique nous est apparue comme une nécessité, comme une évidence partagée.
Partagée ?… Pas tant que ça en tendant l’oreille, en scrutant Internet, en suivant les discussions des proches sur les réseaux sociaux. Et particulièrement auprès de la jeune génération, aux trentenaires, à certains de nos enfants et de leurs amis. Comment interpréter ces réserves, voire cette franche hostilité vis à vis de ce mouvement citoyen ? C’est du coup une multtude de questions qui sont soulevées.
Comment expliquer le parcours des auteurs des attentats ?
Si les motivations exprimées par les terroristes sont sans ambigüité : défense d’un islam intégriste et s’imposant par la violence et solidarité avec l’«état islamique » attaqué par les forces occidentales, on s’interroge pour savoir comment ces jeunes français en sont arrivés là . Inutile à mon sens d’en faire des porte-paroles du malaise des banlieues, les frères Kouachi ont vécu une bonne partie de leur adolescence en Corrèze et Maxime Hauchard, complice d’une décapitation orchestrée par Daesch, est originaire d’une petite ville tranquille de Normandie. La tranquille cité de Lunel a fourni une vingtaine de djihadistes aux combats de Syrie. Des jeunes sans doute bien paumés qui sont tombés dans la fascination d’une violence valorisée et mise en scène sur Internet et/ou par le biais de prédicateurs en prison. Les succès militaires sur le terrain moyen-oriental ont apporté à Daesh une visibilité et une attractivité à un niveau dont n’a jamais bénéficié Al Qaïda. C’est bien un état fasciste qui se constitue sous nos yeux entre l’Irak et la Syrie et le fascisme a toujours su attirer et mobiliser les jeunes paumés et les voyous même au-delà de ses frontières. Une autre question est la réaction des «quartiers ».
Les «cités» absentes des cortèges ?
Peu de jeunes de ces zones difficiles dans les cortèges à Paris et dans les grandes villes. Quelques incidents dans les collèges au moment de la minute de silence. Des prises de becs plus ou moins menaçantes ici ou là. L’islam brandi comme un étendard face à l’humiliation ressentie par une population sans espoir de trouver une place dans notre société. Un islam fruste et intolérant , bien différent de celui, discret, des pères ou des grands pères.
Evidemment, la ségrégation, l’échec scolaire, les discriminations à l’emploi et au logement alimentent le désespoir. Et les regards sont tournés aussi vers Gaza, la politique jusqu’au boutiste du gouvernement d’Israël et vers les faits d’armes de Daesh.
En dehors de la religion, les thèses anti-système, les explications complotistes fleurissent aux dépens d’une recherche honnête d’informations. Internet en est le vecteur privilégié.
Mais les quartiers difficiles n’ont pas le monopole du scepticisme et du soupçon. Dans mon entourage « Je ne suis pas Charlie » a trouvé des soutiens et des arguments.
Même dans les beaux quartiers et les périphéries tranquilles : les jeunes s’interrogent.
Tout le monde a constaté sur les réseaux sociaux et sur les messageries l’explosion des échanges, des textes, des arguments et des contre-arguments suscitée par ces évènements. D’un coté les « Je suis Charlie » se contentaient souvent de relayer la pancarte standard ou des caricatures. De même dans les manifestations le silence, les applaudissements, ou les clameurs ne laissaient pas de place à des expressions singulières. Nul doute que les motivations des uns et des autres étaient extrêmement diverses, mais elles s’effaçaient devant cette évidence : il était urgent, indispensable, vital de répondre à l’évènement et de se retrouver ensemble nombreux dans la rue.
Mais de retour à la maison, on s’apercevait que l’unanimité n’était que relative. Entre ceux qui avaient choisi de ne pas participer aux manifs et ceux qui proclamaient haut et fort « Je ne suis pas Charlie », on découvrait des proches qui mettaient en cause ce mouvement. Cela donnait lieu à de longues argumentations destinées à expliciter les raisons de cette opposition qui était ressentie comme une abstention coupable par les « Je suis Charlie ». Faisons un tour rapide de ces arguments .
– Le fait que le gouvernement soit clairement intervenu dans le lancement de la manif en a géné plus d’un : la survenue des évènements arrangeait bien les politiques, estimaient-ils. Les thèses complotistes (voir l’enquète IFOP) n’étaient pas loin, à l’instar de Jean-Marie Le Pen qui reconnaissait sans hésitations la marque des services secrets …
– Beaucoup de commentaires anticipaient avec crainte une récupération politique, de la gauche pour redorer le blason d’un gouvernement déconsidéré ou de la droite pour mettre en avant ses options sécuritaires et anti-immigration.
– Et puis le mot d’ordre « Guerre au terrorisme ! » s’est rapidement retrouvé dans la bouche de Valls comme dans celle de Sarkosy. Elle rappelait la croisade funeste de GW Bush qui s’est terminée piteusement en Afghanistan et en Irak : la guerre à 3000 milliards de § et combien de morts ? Tout le monde sur le moment avait oublié, semble-t-il, le discours de Villepin du 14 février 2003 à la tribune de l’ONU qui a refusé le soutien de la France à la coalition.
– Derrière le scepticisme de ces jeunes qui n’ont pas manifesté, une hostilité totale envers le « système » qui englobe la finance internationale , l’impérialisme américain, les médias aux ordres et le personnel politique. Dans ce cadre-là, toute action collective qui ne s’attaquerait pas aux racines profondes du mal serait vouée soit à l’échec , soit à la manipulation. On voit , en creux, dans les analyses exprimées l’attente incertaine du grand soir ou bien la foi dans la portée universelle des petites révolutions personnelles qui, un petit matin, donneraient naissance à un monde nouveau.
Décidément , ces événements de janvier ont mis à jour la sécession d’une certaine jeunesse qui n’a plus beaucoup confiance dans les institutions (dans certains cas , c’est un euphémisme!). Elle touche les populations des quartiers en difficulté mais aussi le reste plus ou moins inséré de cette génération.
Les questions posées sont éminemment politiques.
Cette demande de politique (même si elle se cache sous le voile de la religion ou de la revendication identitaire pour les jeunes issus de l’immigration) ne trouve pas en réponse d’offre politique adéquate et crédible.
Les leaders d’opinion informels prospèrent sur Internet : bien à droite comme Dieudonné, Zemmour, ou Soral. Ailleurs comme Lordon, Berruyer,Chouard, Jorion, Mermet. Chacun cultive avec soin le cercle de ses fans : Les « gentils virus » d’Etienne chouard, les « AMG » et ses Café repaire de Mermet privés d’antenne sur France Inter dorénavant sur la toile…
Les partis ont du mal à capter cette humeur anti-capitaliste, même à la gauche de la gauche (Front de Gauche, etc). De leur coté, les verts restent relativement coupés d’une frange importante d’écologistes radicaux (les ZADistes de Notre-Dame des Landes, de Sivens ou de Roybon …).
On se prend à se tourner vers le Sud, à observer le vent nouveau de Syriza ou de Podemos. Annoncent-ils un renouveau de la politique à l’échelle de l’UE ?
Face à ces interrogations écoutons les artistes, les poètes, les philosophes.
Et notamment JMG Le Clezio, prix Nobel de litterature , cet arpenteur du monde et des cultures qui écrit une lettre à sa fille au lendemain des grandes manifestations de Charlie.
«… Rien ne se fera sans la participation de tous. Il faut briser les ghettos, ouvrir les portes, donner à chaque habitant de ce pays sa chance, entendre sa voix, apprendre de lui autant qu’il apprend des autres. Il faut cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation. Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.
Je pense que c’est ce sentiment qui a dû te frapper, quand tu marchais au milieu de cette immense foule. Pendant cet instant miraculeux, les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. J’espère que, de ce jour, tous ceux, toutes celles qui étaient avec toi continueront de marcher dans leur tête, dans leur esprit, et qu’après eux leurs enfants et leurs petits-enfants continueront cette marche. »
Merci pour cette belle analyse Norbert !
Il n’y a pas que les jeunes qui sont sur la réserve. J’ai participé à Lyon, avec ardeur. Je n’aurais pas participé à Paris pour ne pas défiler avec nos « gouvernants »!
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C’est vrai que dans la catégorie » jeunes » on peut ranger certains septuagénaires !
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Merci Norbert pour tes belles analyses, tes subtiles réflexions. Il n’en demeure pas moins que la clef qui permet d’ouvrir les portes et les fenêtres de cette société cloisonnée, n’est pas facile à trouver. Bien sûr il faudrait résoudre le problème palestinien, réduire la spéculation et les inégalités, mieux reconnaitre notre responsabilité de société coloniale puis néocoloniale, refonder l’Europe, créer des emplois, participer à des rencontres, des échanges, des actions de solidarités, rester offensifs dans ce monde qui a perdu ses repères politiques, ….. Et prendre la mesure des choses, des écarts, du temps et des moyens nécessaires aux changements, du temps qui passe aussi, pour nous et pour cette jeunesse faite de tous nos enfants…
En espérant vous voir bientôt,
Maeva
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J’ai honoré les victimes d’un acte atroce commis par des paumés de notre société avec des bougies rouges à ma fenetre autant que j’en avais pendant plusieurs jours.Le fossé s’est creusé entre deux civilisations et deux cultures opposées. Chacun en est ressorti plus fort dans la construction de son identité par l’identification affirmée de son ennemi Les diverses manifestations dans le monde une contre l’autre ne font que le confirmer
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Norbert, tu as encore une fois trouvé les mots qui nous font partager et réfléchir sur les événements et discussions de ces dernières semaines . Merci .
Hanna .
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Début janvier 2015, nous avons tous été saisis par les 17 assassinats perpétrés à Paris par trois islamistes fanatisés, français de 2ème génération.
Je partage la douleur des familles et des amis des victimes, et m’associe à leur deuil.
A l’instar des millions de personnes sensibilisées par ces événements, je tiens à rappeler que :
o En tant que citoyen français, je suis attaché au respect de la loi de la république. Aucune autre ne saurait lui être supérieure en France, qu’elle soit religieuse, ethnique, communautaire ou mafieuse. Notamment, la violence physique et le meurtre de toute personne sont interdits. La peine de mort est abolie.
o En tant qu’homme libre, je suis attaché à la liberté de m’informer, de penser, de proposer et d’agir.
o En tant que journaliste amateur, je suis attaché à la liberté de publier.
o En tant que membre d’associations assises sur des valeurs, je suis attaché au respect des convictions de chacun, politiques, religieuses et morales, et qu’à ce titre je ne cautionne pas les provocations irresponsables qui mettent en péril de mort des milliers de personnes dans le monde.
Et je ne veux pas que tout ceci soit le prétexte de nouvelles lois liberticides.
Je n’oublie pas non plus les centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants du Moyen Orient, d’Afrique et même d’Europe, victimes du néolibéralisme colonisateur ou des réactions qu’il suscite. Les religions sont fréquemment instrumentalisées pour servir d’alibis à ces massacres.
Le drame récent que nous avons vécu, est la conséquence logique et prévue, de la politique française de ces dernières décennies.
Le dimanche 11 janvier, à l’écart de la manifestation populaire, la mise en scène théâtrale des acteurs responsables ou complices de cette situation, en vue d’une récupération politique, était particulièrement indécente.
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