Les bois noirs

Les bois noirs, ce sont ces hauteurs boisées au nord-est du massif central, partagées entre le département de la Loire, du Puy de Dôme et de l’Allier. C’est là , dans ce pays difficile que Danièle a ses racines auvergnates. Et dans bien des hameaux , surtout sur le versant de l’Allier, on  se souvient encore de son vétérinaire de père qui faisait la tournée des élevages et qui appréciait ce pays rude.

Entre 800 et 1300m les forets vert clair de feuillus et vert très sombre de résineux dominent un paysage austère . Les épicéa, abies, et autres Douglas ont partout pris le dessus, encouragés par une incitation publique au boisement standard.

Au bout des chemins, au croisement des routes quelques villages, plutôt déserts. Mais il ne faut pas se laisser prendre par l’impression du vide végétal. Ces espaces ruraux ont longtemps (jusqu’à la guerre de 1914) abrité une population nombreuse et active avec des densités supérieures à des régions plus clémentes et plus riches. Derrière l’apparente immobilité des populations prospéraient les échanges et les allers et retours avec la plaine du forez d’une part et le territoire de Thiers d’autre part. Au-delà entre Lyon-genève et Nantes-bordeaux.

Sur ce point de passage obligé, chaque période a dessiné un itinéraire différent, entre le médiéval « grand Chemin » et la moderne autoroute A89. Dans tous les cas des pentes importantes et des intempéries fortes. La neige ne prévient pas et s’abat en quantité sur ces premiers contreforts. Le grand chemin passe par Saint-Just en Chevalet et par le col de Saint-Thomas, un trajet assez rectiligne avec des pentes à 17% qui font le plaisir des cyclistes grimpeurs.C’est là que Fredo a installé son auberge-refuge à près de 1000m d’altitude, une adresse appréciée des randonneurs, des cyclotouristes et des amoureux de ce rude pays. C’est là que Danièle a donné rendez-vous à Jean-François Faye, président de l’association « les amis des bois noirs » , historien citoyen et généalogiste émérite. Avec Frédo Dayne, il y a là le noyau historique de cette structure, à mi-chemin entre la société savante et la joyeuse bande amoureuse de son terroir.

Manque au tableau le grand inspirateur, le regretté Paul Chatelain, géographe, professeur à la Sorbonne qui a fini sa vie à Cervières, un peu plus loin.

Autour d’un repas simple et délicieux mitonné par Madeleine, la maîtresse des lieux, Danièle parle de son grand’père Claudius qui s’est installé en 1923 à la Chevalerie, un hameau de Vollore Montagne , à une trentaine de KM de l’auberge.  » La Chevalerie, je connais bien, j’y ai fait les foins chez Claudius et j’y ai croisé votre père Paul. » Fredo, l’immigré italien, venu dans les années 1950 de ses montagnes du Val d’Aoste, connaît le pays – et les gens – comme sa poche. Nous faisons le plein d’anecdotes et de documents (une vidéo sur l’histoire du franchissement routier , puis ferroviaire, puis autoroutier de ce seuil, deux livres : « Si Cervières m’était conté  » et « les bois noirs » en vente chez Fredo). Et nous voilà partis pour une promenade dans l’espace – quelques dizaines de km- et surtout dans le temps – deux ou trois siècles- sur les traces de la famille de Danièle.

Première étape aux Cros, hameau d’Arconsat où réside Gilles le descendant d’une famille alliée à celle de Danièle. Ils posent tous les deux  devant la maison familiale encore occupée par les parents de Gilles. Jean-François est intarissable sur l’histoire d’Arconsat, il décrit l’énergie et l’inventivité de ces familles engagés dans leur survie. Tous les moyens étaient bons : la contrebande de sel (six fois moins de gabelle en Auvergne qu’en Bourbonnais), le commerce ambulant des colporteurs (qu’on a vu partir jusqu’au Mexique), l’artisanat autour du bois et de la coutellerie. Autant de raisons au maintien d’une population rurale très importante malgré des conditions difficiles.

Le lendemain , nous nous éloignons des bois noirs pour se rapprocher des origines de la famille de Danièle : plusieurs générations sont signalées à Saint-Marcel d’Urfé . Nous sommes dans la seigneurie d’Honoré d’Urfé, auteur du premier roman-fleuve de la littérature française, L’Astrée. Mais Urfé était aussi, par sa mère, marquis du Valromey, le pays de mes origines. Alors, à quelques siècles de distance, nous nous rapprochons Danièle et moi.

La petite chapelle de la Chirat avait été remplacé au XIXème siècle par une vaste et solide église, comme dans tous ces villages, juste au moment où la démographie triomphante commençait à amorcer sa décrue.

Nous suivons l’itinéraire de la famille de Danièle. Johannes Marie, l’arrière grand’père prend une ferme à Coubanouze, hameau des Salles. Les coteaux verdoyants dominent un plan d’eau paisible.

Johannes Marie n’y restera pas à la différence de son frère Antoine Marie qui fera souche à Coubanouze. Ses descendants y exploitent encore un grand élevage porcin.

Nous sommes encore dans le département de La Loire. Les Salles c’est une zone de transition au pied des Bois Noirs. Le chemin de fer est arrivé en 1876 à Noirétable , un peu plus loin. Le péage de l’autoroute y est implanté ainsi que l’aire de service du Haut Forez. Nous ne sommes pas encore en Auvergne, l’Auvergne profonde.  Demain, nous poursuivrons le périple de cette famille qui va se retrouver dans la Montagne Thiernoise, quelques km plus loin.

La montagne Thiernoise

Avec Danièle nous avons décidé de suivre les traces de sa famille entre Haut-Forez et Auvergne. Son arrière-grand père  Johannes-Marie quitte coubanouze, franchit la frontière vers le Puy de Dôme et vient s’installer autour de 1900 dans une ferme de Viscomtat.

On l’appelle les Grands Bois et elle porte bien son nom: au bout d’un chemin de plusieurs km à travers des sapinières épaisses et sombres, l’espace se dégage dans un vallon verdoyant. Vous savez alors que vous êtes arrivés, et de toute façon la route ne va pas plus loin. La ferme est actuellement la propriété d’un exploitant qui élève des chêvres et qui a cessé une activité d’accueil et restauration depuis qu’il s’est retrouvé seul. Notre guide aujourd’hui est Micheline la belle-fille de Jérome l’un des fils de Johannès-Marie. Feu son époux, Edmond, a passé son enfance sur la ferme des Grands Bois avant de la quitter pour s’installer au village et se consacrer à une activité de polissage et finition dans la coutellerie (une spécialité historique de la région de Thiers). Mais la famille a gardé un lien fort avec ce lieu où ils se retrouvent régulièrement.

Si Jérome a exploité les Grands Bois jusqu’à sa retraite, son frère Jean Claudius et grand’père de Danièle est parti  en 1923 rejoindre sa fiancée Maria pour s’installer à Vollore-Montagne, à la Chevallerie. Née au Verdier, 500m plus bas, Maria, en revenant dans ce petit hameau loin de tout , retrouvait les traces de sa trisaïeule Peronne qui l’avait quitté pour se marier. Depuis toujours la population de la Chevalerie tournait autour d’une famille d’agriculteurs et de marchands de bois.

Le couple s’occupait d’un troupeau d’une vingtaine de laitières et gérait les bois. Beaucoup de paysans dans cette région exerçaient plusieurs activités pour diversifier les sources de revenu et occuper les longs hivers où la neige bloquait les chemins. Ainsi Jean Claudius avait un atelier de sabotier avec tout le matériel professionnel de l’époque.

Danièle a passé beaucoup de ses vacances dans ce hameau, dans une grande liberté, allant d’une maison à l’autre (chez les grands parents mais aussi auprès d’une bande de tantes qui prenaient là leur villégiature d’été), explorant les ruisseaux et les pistes forestières, courant dans les chemins creux.

Aujourd’hui la Chevalerie a changé : Très peu d’occupants à l’année , la ferme des grands parents et les maisons des tantes sont aménagés en gites,  plus de vaches laitières dans les étables, mais des troupeaux de limousines au champ, et les sapins qui prennent le dessus partout, d’autant plus que le cousin qui s’occupe des terres est pépiniériste spécialisé en … sapin (de Noël ou pour la plantation) !!

Les bois c’est une sacrée affaire dans cette région. De tout temps, les paysans comptaient sur la forêt pour survivre :

  • les pauvres avaient le droit de pâture dans les chemins et les clairières, ils pouvaient ramasser et couper le bois pour se chauffer et s’abriter. Ces droits ont été repris dans une catégorie particulière : les sectionnaux où la propriété est distincte des usages.
  • Tout le monde profitait des bois communaux avec les règles d’attribution des coupes annuelles : l’affouage
  • enfin la propriété forestière demandait, elle, des investissements en capital et des moyens d’exploitation importants qui la destinaient aux grands propriétaires. Ces propriétés ont souvent été démembrées après la révolution et surtout divisées au gré des successions. Et puis devant la crise de la petite exploitation de polyculture-élevage, les pouvoirs publics ont mis en place dans les années 1960 une incitation et des subventions pour que les paysans cessent d’exploiter et boisent leurs parcelles. La sapinière en a profité.

Les moyens d’exploitation se sont modernisés. Le temps n’est plus au débardage aux chevaux et au transport sur de mauvais chemins jusqu’au port de Lanaud sur les rives de la Dore comme le pratiquaient les ancêtres marchands de bois de Danièle.

Aujourd’hui le stock de bois sur pied est considérable. Ce type de plantation ne souffre pas d’un vieillissement sur pied. Le manque d’entretien amène inévitablement à la solution radicale de la coupe à blanc. On se demande comment on pourra en organiser l’exploitation à une grande échelle.La filière aval doit se développer et se moderniser. Heureusement les nouvelles installations de bois énergie ou de bois de construction poussent comme des champignons dans les villages.

Les bois de Vollore Montagne, ce sont avant tout les bois de Pamole : des centaines d’hectares à plus de 1000 m d’altitude et un belvédère aménagé au sommet. Ce sera la dernière promenade de notre circuit auvergnat. Devant cette table d’orientation, au milieu de ces bois plantés par ses ascendants, Daniele a sous ses yeux toutes les étapes qu’ont franchi ses ancêtres entre le Forez et l’Auvergne, dans ce pays rude et attachant. Un exercice pratique de géographie, d’histoire, de généalogie … et de rencontre avec ses semblables.