Avec l’accord interprofessionnel signé, ce lundi 21 janvier, par 4 confédérations syndicales, on a beaucoup parlé de rupture négociée (conventionnelle) du contrat de travail, présentée comme une nouveauté introduite dans les relations sociales dans l’entreprise.
Effectivement le code du travail ne connaît – en gros- que deux situations qui mènent à la rupture du contrat de travail : le licenciement (à motif économique ou personnel) ou la démission. Dans cette vision en noir et blanc, le droit du travail a construit des protections pour le salarié afin de tenir compte de la situation déséquilibrée du contrat :
-le licenciement du salarié en CDI est à l’initiative de l’employeur. Il doit respecter une procédure. Il doit intervenir pour une cause réelle et sérieuse. Il doit prévoir une indemnisation du salarié qui touchera par la suite des allocations chômage.
-La démission est à l’initiative du salarié. Elle est soumise à un préavis. Le droit du travail s’attache à garantir l’expression de la libre volonté du salarié. La démission ne se présume pas, elle doit être exprimée par écrit de manière explicite. Le salarié démissionnaire ne peut prétendre ni à indemnités, ni à allocations de chômage.
Mais tous les observateurs des relations sociales savent bien qu’une partie importante des situations échappent à ces deux modèles (le blanc et le noir) et constituent une vaste zone grise dans laquelle la volonté de l’employeur et celle du salarié interfèrent et s’entremêlent.
Premier zone grise : La rupture négociée
Bien avant la mise en place des nouvelles règles, la rupture négocié était une réalité ; elle avait même pris une dimension de plus en plus importante dans les entreprises, particulièrement chez les cadres.. Déjà dans les années 80, une étude effectuée par l’ANDCP avait fait ressortir que plus de 80 % des ruptures de contrat de travail des cadres donnaient lieu à transaction. Et le phénomène n’avait fait que s’amplifier.
La rupture négociée n’était pas prévue dans le code du travail. On superposait donc une procédure de licenciement classique à une transaction qui, elle, relève du Code Civil, au même titre que tout contrat entre deux personnes privées. La transaction ne pouvait intervenir qu’après la notification du licenciement, ce qui ne crée pas les conditions d’une négociation sereine puisque des engagements oraux au moment du licenciement pouvaient ensuite être contredits dans la transaction finale. A moins de la postdater… Bref, c’était un peu du bricolage.
Cette procédure assez aléatoire, a fait les beaux jours des juristes des RH ; elle n’a jamais prémuni contre les recours contentieux ultérieurs.
Du coté des ASSEDIC, subsistait toujours le danger – théorique la plupart du temps- que la transaction puisse apparaître comme un départ volontaire, une « démission » qui exclue du bénéfice des allocations.
Deuxième zone grise : les travailleurs «agés»,
Arrivés à un certain age, les salariés peuvent espérer, en cas de chômage, faire la continuité avec la retraite, en bénéficiant d’une dispense de recherche d’emploi. Les services RH (des grandes entreprises souvent) connaissent la chanson et n’ont pas de mal à convaincre un salarié fatigué, plus trop motivé par les maigres perspectives offertes dans l’entreprise, d’accepter un licenciement individuel pour faute, insuffisance ou inaptitude, avec éventuellement des indemnités supérieures (chèque-valise). Bref, des préretraites déguisées mais … au frais des ASSEDIC et de ceux qui y cotisent.
Troisième zone grise : les démissions.
Beaucoup de démissions ne sont pas l’expression de la libre volonté du salarié. L’employeur peut souhaiter se séparer d’un salarié sans prendre les risques (judiciaires ou sociaux) ni supporter les frais du licenciement. Dès lors, il est assez fréquent d’assister à la mise en place d’un système de pressions (changements de poste, de lieu de travail, d’horaires, pratique de harcèlement, « placardisation ») qui a pour but de faire craquer le salarié qui va finalement signer contre son gré sa lettre de démission.
Dans d’autres cas, c’est le salarié qui souhaite partir (Projet personnel, reconversion ou changement d’entreprise), mais sans pour autant renoncer à la possibilité de percevoir une indemnité de licenciement et les allocations de chômage. Si l’entreprise a une perspective de restructuration, de plan social, il est toujours possible de négocier un licenciement. Mais dans bien des cas l’employeur ne manifeste ni la volonté ni l’intérêt pour s’engager dans une telle procédure. Les salariés sont contraints de démissionner, à défaut de se faire licencier. On voit même des salariés rechercher systématiquement la faute pour se faire virer ou carrément abandonner leur poste dans l’attente de se faire licencier. Dans ce cas de figure, la jurisprudence considère que l’employeur ne peut prendre acte de la démission du salarié : il lui appartient de le licencier. Le salarié disposant d’une lettre de licenciement pourrait alors percevoir une allocation. Pour faire barrage à toute ambiguïté, les sénateurs ont adopté le 10 janvier dernier, contre l’avis du gouvernement, un amendement proposant donc de qualifier en démission, et non plus en licenciement, l’abandon du poste de travail. Disposition qui sera examinée par l’assemblée.
Ces trois zones grises sont concernées par l’accord interprofessionnel
Les nouvelles dispositions
Elles prévoient la possibilité d’une rupture par consentement des deux parties. Les garanties apportées ont permis la signature syndicale (à l’exception de la CGT qui jugeait l’ensemble des dispositions déséquilibré aux dépens de la sécurisation des parcours professionnels) :
–Strict volontariat de la démarche;
–Assistance du salarié par le délégué syndical ou un conseiller du salarié;
–Libre négociation au-delà de l’indemnité minimale fixée à 1/5 de mois par année d’ancienneté ( c’est-à-dire le niveau de l’indemnité légale en matière de licenciement économique)
–En cas d’accord, délai de rétractation possible de 15 jours;
–Si l’accord est confirmé, homologation sous 15 jours par la Direction départementale du travail.
-Droit à l’assurance-chômage.
Alors on peut espérer que cet accord amène plus de clarté, plus de sécurité pour les deux parties afin de réduire ces trois zones grises que l’on a décrit ci-dessus. On peut craindre aussi que les ruptures ainsi facilitées se multiplient en direction des salariés les plus fragiles.
Cela concerne un nombre très important de situations, quand on considère que, depuis 2000, les démissions ont dépassé les licenciements économiques dans les causes d’inscriptions à l’ANPE. Combien de démissions se retrouveront dans les ruptures conventionnelles ?
Et puis on peut se demander :
– Quels moyens pourront mobiliser les Directions Départementales du Travail et de l’Emploi pour assurer un examen sérieux des conventions dans le délai imparti de 15 jours ?
– Comment sera financé le surplus des allocations ASSEDIC versées aux bénéficiaires ?
Bref, l’affaire n’est pas bouclée !