Gens de Lure

Tout le monde connaît le Mont Ventoux ( 1909 m) qui se dresse au-dessus de la vallée du rhône, large cône visible de Montélimar à Avignon. Mais beaucoup ignorent sa soeur jumelle, la montagne de Lure (1826m), plus à l’Est  qui jouxte le début des Alpes du Sud.

Les deux sont des crêtes orientée Est-Ouest, constituées de calcaire. Elles font partie des plissements provencaux contemporains du surgissement des pyrénées. Elles ont beaucoup de points communs : notamment le bandeau  blanc-gris qui coiffe leur sommet, dénué de végétation au dessus de 1600m, constitué d’un nappe continue de pierres calcaires éclatées par le gel.

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La chaîne de Lure ne mesure pas moins de 8 kilomètres sur son flanc sud, de la base à la crête; elle est formée d’un assemblage de côteaux, de collines, de montagnes, de pics escarpés, de contreforts (les ponchons) séparés par d’étroites vallées (les combes) et couverts en grande partie, selon l’altitude, de forêts de chênes blancs, de hêtres, de pins sylvestres ou de pelouses d’altitude.

Dès les beaux jours, le Mont Ventoux est fréquenté par des meutes de touristes, des cars de seniors en goguette, des grappes de cyclistes à la recherche de l’exploit. Les commerces sont là pour les accueillir. Rien de tel sur la Montagne de Lure, bien plus discrète, secrète même. Une fois quitté les villages qui parsèment ses premiers contreforts et notamment Saint-Etienne les Orgues dont l’immense espace communal s’étend jusqu’au sommet, la route serpente au milieu de la forêt sans rencontrer ni construction, ni âme qui vive. Mais ce n’est qu’une impression. Cette montagne est habitée, pour celui qui sait le découvrir.

C’est un panneau très discret, à l’entrée d’une voie forestiere, qui signale Notre-Dame de Lure,l’abbaye crée par les bénédictins de l’ordre de Chalais au XII ème siècle . Au bout d’un chemin enfoui sous les hêtres on parvient enfin aux abords de l’église, seul vestige de la grande abbaye désertée au XVème siècle; en dehors d’un batiment plus récent réservé à l’accueil des pélerins.

Dans la chaleur de l’été, c’est surtout l’ombre amicale des arbres tricentenaires qui marque les promeneurs. Les trois tilleuls et le noyer, un des plus vieux de France. Une fontaine s’offre à eux, occasion très précieuse dans ce pays aussi avare de points d’eau. Pourtant la montagne est arrosée ( plus de 800 mm); l’eau disparaît en profondeur dans le relief karstique. Les eaux souterraines alimentent, avec celle du Ventoux, la fontaine de Vaucluse, 50 km plus loin, la résurgence la plus importante de France.

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Personne autour de l’église ? Si les moines ont déserté depuis belle lure[tte] le site, une fumée monte cependant des batiments autrefois réservés aux pélerins. C’est Lucien, l’ermite de Lure, installé depuis 4 ans, qui est maintenant le gardien des lieux. Barbe grise, cheveux sur les épaules, Lucien qui connaît la solitude de l’hiver, profite du mouvement incessant des promeneurs en été pour faire le plein de relations sociales.

« Les autorités ne s’en plaignent pas car sa présence a évité des dégradations qu’on observait ces dernières année, avec la multiplications des fêtes sauvages, des raves improvisées ou des beuveries de fins de soirées », nous explique le technicien de l’Office National des Forets, lui même assidu à conserver ordre et propreté dans ce petit paradis au coeur de la forêt. L’ermite vit de l’air du temps et accepte les dons pour s’alimenter, pour la nourriture des oiseaux du ciel et des plantes pour son jardin.

Nous reprenons notre ascension vers le sommet que nous atteignons en fin de journée. Au détour de la route, la crête révèle la vue du versant Nord, terriblement abrupt : montagnes des Baronnies, collines de la drôme, et plus loin les alpes , le Pic de Bure, les Ecrins.

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La route continue à grimper au milieu des champs de lauze grise , jusqu’à un parking au pied du Signal de Lure.

lure-signal.1220456183.jpg Nous terminons à pied le chemin qui nous mène au sommet dominé par quelques antennes fantomatiques.Pas grand monde autour de nous hormis queques petits groupes qui viennent jeter un coup d’oeil rapide au paysage .

Nous redescendons au parking déserté, avec l’idée d’y passer la nuit. Le temps est clément et nous n’avons à craindre nul orage – qui sur ces sommets peuvent être redoutables.

Mais une rumeur attire notre attention. Nous apercevons un troupeau qui remonte du versant opposé en direction du sommet .

On distingue la bergère et le berger, les deux border collie qui se démènent pour garder le troupeau en ordre. La fin de journée est l’occasion de changer d’herbage. Ils vont passer la nuit « sous les antennes », nous expliqueront-ils. Ils doivent aussi descendre régulièrement à la station de ski un peu plus bas pour faire boire les bêtes. il n’y a pas d’autre point d’eau sur les hauteurs.

patou.1220458266.jpg C’est amusant d’observer la place respective des patous, ces grands bergers des Pyrénées qui protègent des loups, et celle des border. Pendant que les border s’activent  à faire avancer le troupeau sous les ordres des bergers, les patous , de leur coté, flanent à quelque distance, vaquent à leurs occupations selon leur humeur. Mais , attention ! Dès qu’un promeneur ou un chien étranger fait mine de s’approcher, les voilà sur leurs gardes, et, plutôt menaçants.

Une fois les 2300 bêtes installées pour la nuit, les bergers vont regagner leurs pénates en ramenant les border collies dans leur camionette. Ils laisseront le troupeau sous la garde distante des patous.

Le lendemain, nous voci partis pour une randonnée vers le Pré du Fau. En descendant la végétation se fait plus dense, malgré l’exposition de la crête que nous suivons aux terribles vents des sommets. On retrouve  ce mélange de hêtres et de pins sylvestres. Mais, hélas, les bucherons sont là et en train de ravager une de ces pentes où les arbres ont tant de mal à s’accrocher. Pourquoi s’acharner sur ces parcelles fragiles ? Ce n’est pas le bois qui manque sur Lure et dans des situations plus exploitables.

Les bois sont ensuite débités en bille de 1 m pour le bois de chauffage et réunis en fagots d’un stère.

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Une fois leur travail terminé, les bucherons redescendent dans la vallée. A la différence des charbonniers de jadis qui vivaient dans la montagne.

charbonniers.1220516541.jpg Nombreux, bien que dispersés sur tout le territoire de Lure, ces immigrés Piémontais habitaient, hiver comme été, des cabanes ou des jas (cabanes de bergers en pierre) abandonnés, dans des conditons de vie extrèmement difficiles. La production de charbon de bois constituait alors une activité très importante pour l’industrie et les particuliers.

C’est parmi ces charbonniers de Lure que Pierre Magnan situe au XIXème siècle le cadre de son roman Les charbonniers de la mort.

lure-encyclopedie.1220517296.jpg Pour en savoir plus sur Lure, on trouve La montagne de Lure une belle encyclopédie d’une montagne en Haute-Provence aux editions Alpes de lumière , association de jeunesse et protection du patrimoine  créée par Pierre Martel, Prêtre, chercheur, écrivain, une figure de l’ethnographie des  » Basses-Alpes » comme se plaisent à le dire les anciens des  » Alpes de Haute-Provence ».

2 commentaires sur “Gens de Lure

  1. Merci pour ce blog….succinct mais intéressant.
    Fervent adepte de la Montagne de Lure et résident du pays de Lure, je suis bûcheron et sylviculteur avant tout….je suis d’accord avec ton opinion sur les coupes abusives mais les mentalités évoluent et des alternatives existent pour exploiter des parcelles tout en consrvant un boisement ( balivage ) qui se pratique de plus en plus par les vrais bûcherons….respectueux de leur source de subsistance et de leur milieu de vie….
    peut être à bientôt.

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