A l’heure où ce billet paraît, l’incertitude plane encore sur le sort réservé à l’accord partiel intervenu en Guadeloupe entre le collectif LKP et une petite partie du patronat – l’Union des entreprises guadeloupéennes qui s’est créée pendant la crise et qui regroupe des petites entreprises . Nul ne sait si l’attitude du MEDEF local s’explique par un entêtement particulier de sa délégation locale, ou bien si le MEDEF national souhaite ainsi exprimer une opposition de principe à une solution qui ne lui convient pas.
Le LKP évoque la possibilité d’une extension de l’accord . Effectivement le Ministère du Travail pourrait prendre un arrêté imposant les termes de l’accord à toutes les entreprises de Guadeloupe, même celles regroupées dans des organisations non-signataires.
– à condition de s’opposer frontalement aux organisations patronales majoritaires
– à condition d’avoir consulté préalablement le commission nationale de la négociation collective
– – à condition que l’arrêté d’extension ne soit pas attaqué devant les tribunaux, vu la fragilité de sa base juridique
Bref, une stratégie à haut risque pour les pouvoirs publics. Donc, pas moyen de contourner l’opposition du MEDEF sur lequel pèse désormais une pression de tous bords, y compris de l’UMP.
La tâche des médiateurs , Serge Lopez – dont j’ai pu apprécier les qualités de fin négociateur, lorsque je m’occupais à Lyon, du développement des négociations 35 H- et Jean Bessière – qui fut aussi en poste à la direction du Travail à Lyon – est présentée maintenant comme terminée. Mais tout le monde sait bien que la non-signature patronale fait planer une menace majeure sur les perspectives de pacification du climat guadeloupéen.
Et puis, que peut-on penser des 200€ pour tous, cet OSNI, Objet Social Non Identifié tel qu’il ressort de ces négociations ? Il s’applique aux salariés jusqu’à 1, 4 fois le SMIC. Comme souvent en matière sociale, le diable est dans les détails . Le salaire comprend-il les primes ? Qu’advient-il de ceux qui touchent légèrement plus que 1,4 fois le SMIC ? Ils risquent d’être rattrapés et dépassés par les bénéficiaires de l’augmentation. Que se passera-t-il à la fin prévue des aides publiques ?
Et puis surtout cette mesure est la première à pulvériser ainsi les frontières entre revenu et salaire, en introduisant une aide de l’état dans une solution à un conflit salarial. La porte est désormais ouverte.
Ce n’est pas nouveau que l’état intervienne dans la formation des revenus, par le biais des prestations sociales, par exemple. En France, le tiers des revenus des ménages est constitué par des transferts alimentés par les impôts ou les cotisation sociales. Récemment l’effort s’est porté sur une catégorie montante – les travailleurs pauvres : la prime pour l’emploi créée sous Jospin , le futur RSA (qui sera anticipé en Guadeloupe) pour les chômeurs qui reprennent un job mal payé.
Mais c’est bien la première fois où l’état s’implique autant dans un conflit salarial. Sur les 200€ , l’état apporte 100, les collectivités locales 50 !
Alors, il est impossible d’éluder la question de la généralisation . D’abord à la Martinique – ce qui est en bonne voie, ensuite à l’ensemble des DOM -qui partent dans le mouvement le 5 mars et qui ont autant d’arguments à obtenir satisfaction que les Guadeloupéens.
Et puis pourquoi cette revendication ne serait-elle pas reprise en Métropole, à Maubeuge ou à Vierzon, dans certaines régions ou dans certains secteurs professionnels,là où les salaires sont particulièrement bas ? En mettant en avant les mêmes solutions : à savoir une augmentation du revenu pour les bas salaires qui pèserait pour 25% sur les entreprises – à savoir l’équivalent d’une hausse du SMIC de 5%.
Potentiellement ce sont près de 6 millions de salariés du privé qui sont concernés représentant un besoin de financement public d’une dizaine de milliards d’euros. Soit à peu près le montant de la suppression de la taxe professionnelle promise par Sarkosy aux entreprises.
A un moment où on cherche des leviers pour une relance de l’économie par le biais du pouvoir d’achat, voilà un moyen puissant de pousser la demande. C’est sans doute ce qui inquiète le MEDEF et le gouvernement. Le virus tropical de la revendication salariale serait-il contagieux en climat tempéré ?
merci de ton analyse, Norbert
C’est précis et instructif. Bien mieux que dans mon canard habituel.
Bises
Nicole
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Trés bon article, Norbert ! Tu notes à juste titre que l’Etat devient un financeur de salaires en lieu et place du patronat: quel prolongement à cette logique ? Bref nous en redemandons …
Bien amicalement,
Maeva
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Oui, merci pour cet article qui éclaire bien les enjeux et conséquences possibles d’une telle solution… Je demeure perplexe sur la pérennité de ce type de financement. C’est tout, sauf de la réforme : ce sont des décisions conjoncturelles qui ne s’attaquent pas aux structures économiques d’un système créateur de ségrégations économiques et sociale. Alors, que la revendication s’étende à la métropole on peut le souhaiter pour doper la consommation mais parallèlement, à moins d’enfoncer le budget national dans un déficit abyssal, il faudra bien en venir à une refonte de la fiscalité !
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