Nous étions invités samedi 14 octobre 2017 à la mairie de Crupies (Département de la Drôme) à un improbable mariage civil qui unissait un Alain Marcel, descendant des Marcel de la Combe de Crupies à une Hanna Koch, fille d’un pasteur allemand, originaire de Lübekke (par ailleurs ex-épouse de Norbert et mère des quatre enfants).
Lorsqu’on remonte le fil de l’histoire dans ces terres protestantes, ce mariage, même si les deux mariés, de culture protestante, sont assez éloignés de la religion, apparaît comme une conclusion logique à plus de trois siècles d’histoire, particulièrement en cette année de célébration des 500 ans de la publication des thèses luthériennes qui rencontrèrent rapidement un succès dans de nombreuses régions françaises.
Lorsqu’en 1685, le roi Louis XIV révoque l’Edit de Nantes, un climat de persécution s’installe en France.
Les places fortes de la Rochelle , de Privas sont assiégées et démantelées, les villes de Montpellier et de Nîmes se convertissent devant la menace.
Ailleurs les protestants passent dans la clandestinité, les offices sont célébrés « au désert » dans ces pays isolés, sans routes, au bout de sentiers improbables. Dans les Cévennes, ils prennent les armes (révolte des camisards).
Les autres, 200 000 « Huguenots », cherchent refuge sur des terres protestantes en Europe et dans le monde. Depuis le Dauphiné (dont faisait partie le pays de Bourdeaux), où la réforme est très présente, les départs sont nombreux vers Genève, puis vers l’Allemagne où ils sont accueillis et peuvent fonder des colonies. Les Vaudois des vallées du Piémont, qui adhèrent à la Réforme, s’exilent et suivent les mêmes chemins.
Les Marcel de Crupies (d’après l’étude généalogique d’un village de Drôme provençale -Crupies 1695-1792 – Garaud et Troost)
Ce n’est pas le chemin du départ qu’ont suivi les Marcel de Crupies, ancêtres d’Alain. Ils ont choisi celui de la résistance et du désert dans cette paroisse qui ne comptait pas plus de 200 âmes réparties dans une dizaine de hameaux au début du 18eme siècle.
Le premier ancêtre connu, Gaspard Marcel, est mort en 1705, enterré dans son champ, interdit de cimetière paroissial pour avoir refusé d’embrasser la religion catholique. On retrouve plus de détails dans les registres d’état civil.
« Le 28ème juin mille sept cent et cinq environ la minuit est décédé Gaspard Marcel habitant à la combe de Crupies. Le dit Gaspard est mort subitement puisque le même jour qu’il est décédé il était en réunion publique de ce lieu convoqué par ordre du Sr Chatelain à la réquisition des consuls de cette paroisse… » Garaud et Troost commentent : Un consul – délégué élu par l’assemblée des chefs de famille- devait être désigné et le Chatelain avait invité les électeurs à une réunion pour l’élection du consul, le personnage le plus important du village. L’ambiance fut sans doute chaude, la passion politique débouchant sur la mort d’un participant !
Peut-être le Jean Marcel et le Zacharie Marcel condamnés aux galères en 1687 et tous deux morts à la peine, sont-ils les frères -ou les cousins- de Gaspard ? On retrouve leurs noms au musée du désert au Mas Soubeyran Mialet à Anduze:
En 1719 , la maison du fils de Gaspard, Antoine à la Combe est détruite par une dragonnade (expédition punitive organisée par les pouvoirs pour « inciter » les protestants à la conversion) . Zacharie, autre fils de Gaspard et frère d’Antoine s’installe à La Vialle, le hameau isolé perché en haut d’un promontoire vertigineux, longtemps abandonné (photo ci-dessous). La famille semble rester à Crupies ou dans les environs et vivre de la terre.
Un siècle plus tard l’édit de tolérance de Louis XVI (1787) et la révolution ont mis fin aux persécutions.
Jean Etienne Marcel (1814-1861) est instituteur et il épousera à Dieulefit successivement deux des filles Vignal (en 1842 et 1851), filles d’Etienne Vignal fabricant potier originaire d’Ardèche installé à Dieulefit. Il aura un garçon Etienne Leopold, l’arrière-grand-père d’Alain. Ainsi, à Crupies, à la fin du 19 eme siècle il n’y a plus de Marcel; c’est à Dieulefit que se perpétue la lignée.
Alain a voulu retrouver ce fil en choisissant la mairie de Crupies pour célébrer les noces
Les Koch d’Allemagne (d’après le livre « Sollen wir W.K weiterbeobachten ? » traduction à paraître prochainement)
Le livre du pasteur Werner Koch, père d’Hanna, ne parle pas de généalogie mais de résistance au nazisme cette fois. Werner fut une des figures de « l’église confessante », (die bekennende Kirche), une tendance dans l’église protestante qui s’opposa rapidement à Hitler, contrairement à l’église officielle noyautée peu à peu par le pouvoir nazi. Tout le monde connaît la citation suivante :
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Il s’agit d’un discours du pasteur Martin Niemöller, finalement arrêté en 1937. Il restera dans les camps de concentration jusqu’en 1945.
Werner fut son compagnon de lutte, il fut à l’origine de l’appel des pasteurs en 1933 contre les mesures anti-juives. Il connut aussi les camps de 1936 à 1938. Après la guerre il a poursuivi sa carrière de pasteur à Berlin, puis dans un village en Rhénanie du Nord puis en Basse-Saxe. Hanna (ci-dessus avec son père) y a grandi avec ses quatre sœurs et son frère, avant de s’installer à Paris à l’âge de vingt ans.
Après ce détour historique sur trois siècles, cet improbable mariage en pays huguenot paraît tout à fait naturel et un juste retour des choses 330 ans après la révocation de l’édit de Nantes.
Dans ces paysages qui inspirent la paix (ici le temple de Tonils qui desservait tous les hameaux de Crupies), comment s’imaginer que de telles passions meurtrières ont pu dévaster cette paisible société rurale ?
J’ai lu cet article avec beaucoup d’intérêt, comme d’habitude. Norbert est un excellent rédacteur. Je ne rate aucune de ses publications.
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