Alors ? Ce qu’on craignait ces derniers jours s’est finalement réalisé. Sans attendre le résultats des mesures des derniers jours (couvre-feu, etc.), le gouvernement (ou Macron tout seul ?…) a tranché. Sans doute que les chiffres de l’épidémie qui flambent n’ont pas laissé le temps de l’examen sérieux de la situation.
A ce moment de retour en force de l’épidémie la Chaîne Parlementaire diffusait samedi en fin de soirée (à voir : d’autres diffusions cette semaine à venir) un documentaire instructif : Grippe de Hong Kong, la pandémie oubliée
La grippe de Hong Kong
C’était entre l’hiver 1968 et l’hiver 1969, une épidémie qui était passée inaperçue, j’en suis témoin, moi qui en fus contemporain. Aujourd’hui je n’en ai aucun souvenir direct ou indirect. Après mai 1968, j’avais, comme beaucoup de ma génération, d’autres préoccupations. L’hiver 1968 c’est l’Asie et les USA (50 000 morts en trois mois) qui sont sévèrement touchés. A l’été 1968, les spécialistes estiment l’épidémie terminée. En France les autorités sont rassurantes : pas de seconde vague, pas de danger !

Mais l’hiver arrive et le virus flambe : En France, tous les milieux sont touchés : dans les entreprises, les écoles, les administrations l’absentéisme varie entre 30 à 50% des effectifs. On estime a postériori que 25 % de la population a été infectée par le virus en quelques semaines. Mais la population, les médias, les responsables politiques ne prennent pas le fléau au sérieux et les commentaires légers, voire humoristiques ne sont pas rares. Evidemment aucune mesure de distanciation, aucune restriction n’est évoquée
Pourtant cette grippe tue, les services hospitaliers n’ont aucune thérapie efficace (pas d’intubation, pas de respirateur…) pour les formes graves. Le documentaire fait la place au témoignage d’un médecin alors externe à Nice : « On n’avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir. Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à quinze jours, et puis ça s’est calmé. Et étrangement, on a oublié »
A l’époque on s’est peu soucié peu de compter les morts. Après une analyse rétrospective les épidémiologistes estiment maintenant que l’épidémie fut responsable de 40 000 morts en France. Au niveau mondial ce fut un million de morts.
Ce qui frappe au cours de l’émission, c’est l’insouciance générale de la population et des autorités qui tranche tellement avec l’inquiétude qui nous a saisi, cinquante ans plus tard, avec la Covid 19. Et si nous avions aujourd’hui adopté la même insouciance – ou la même priorité à nos activités, nos libertés- combien compterions-nous de morts maintenant ?
Le re-confinement
Emmanuel Macron a trouvé des arguments à la télé mercredi pour justifier le reconfinement . Des arguments par défaut, en rejetant des solutions plus ciblées sur les publics vulnérables, en exposant les conséquences dramatiques de formules plus libérales (si on laisse faire, ce sont 400 000 (?) morts à venir).
« Tout le monde a été surpris par la force de cette seconde vague. » a t-il souligné. Tout le monde sauf le conseil scientifique qui depuis juin alerte sur les scenarii les plus noirs.

Mais Macron préférait sans doute faire une visite le 10 avril au professeur Raoult qui annonçait une moindre virulence du Sars-covid2 et les résultats exceptionnels de son traitement à la chloroquine, aujourd’hui démentis. On dit même que le marseillais avait encore récemment l’oreille du président qui se souciait en priorité de l’activité économique.
Alors les réalités de l’épidémie ont douché les espoirs infondés de tous les « rassuristes » et ramené -sans doute un peu tard- le président à la raison. Terminés l’approche territoriale et le ciblage par zone (le vert, l’orange, le rouge, l’écarlate), terminé le traçage (tester, suivre, isoler, qui n’a jamais vraiment été mis en œuvre efficacement), terminé Stop-Covid qui n’a jamais vraiment marché, terminé le couvre-feu…
Retour aux bonnes vieilles attestations de déplacement, à la recherche des quelques dérogations autorisées. Et aux contrôles policiers.
Mais l’inertie de l’épidémie qui continue sur sa lancée est telle qu’avant de décélérer sous l’action du confinement, le nombre des décès restera encore élevé. On observe un délai de 30 jours entre une contamination et le décès ; c’est parmi les positifs de cette fin octobre, qu’on comptera les morts de fin novembre. Pour la durée du confinement Thierry Crouzet, fin statisticien, estime la mortalité sur la période à 10 000, soit un mort toutes les 5 mn.
Les boomers coincés dans la bulle
Si Macron l’avait un moment évoqué, personne n’a osé mettre en avant un confinement spécifique des personnes vulnérables, âgées en particulier qui pourrait alléger les restrictions imposées aux plus jeunes. Personne n’a osé, pour diverses raisons.
- Pour des raisons d’égalité citoyenne qui nous interdirait de soumettre une population particulière à un traitement discriminatoire, presque vexatoire.
- Pour des raisons pratiques, car on voit mal comment isoler efficacement les séniors du reste de la population, du reste de leur famille.
Or c’est quand même de ce côté qu’on peut espérer réduire les hospitalisations à venir. 85 % des hospitalisés ont plus de 60 ans L’âge médian des décès du Covid 19 s’établit à 84 ans.
Alors on peut peut-être s’attacher à faire la promotion de pratiques efficaces pour tenir les plus âgés à l’écart des contaminations sans pour autant stigmatiser ces populations. C’est le sens d’une tribune de plusieurs universitaires parue dans Libération le 26 octobre dernier :
« Il est parfaitement possible, en effet, de donner les moyens effectifs aux personnes vulnérables, sur une base volontaire mais fortement recommandée :
• de rester chez elles grâce à des distributions à domicile de tout le nécessaire ;
• d’être relogées temporairement si elles vivent avec d’autres générations susceptibles de les contaminer ;
• si elles sont économiquement actives, de se mettre en télétravail ou en chômage partiel ;
• de circuler dans les espaces publics grâce à des mesures de prophylaxie généralisées et adéquates (distanciation, port du masque en intérieur ou en cas de forte densité…) et grâce à l’augmentation de l’offre des transports en commun, pour qu’une véritable distanciation soit possible ;
• de se retrouver en famille et entre amis de préférence en extérieur et munies des protections adéquates ;
• de bénéficier, en Ehpad comme à l’hôpital, d’un service optimal grâce à l’embauche massive et permanente d’un personnel suffisant et convenablement équipé, au lieu du sous-effectif structurel installé depuis des décennies dans ces secteurs. »
Je dois dire qu’avec Danièle, nous pratiquons déjà une forme d’auto-confinement. Nous avons cessé les activités -sportives, culturelles- collectives. Nous continuons à voir nos enfants et petits-enfants, nos amis, mais à petite dose et avec les distances recommandées.

Nous pratiquons en petit comité un qi-qong qui se veut quotidien et nous promenons le chien deux fois par jour. Nous avons la chance d’avoir un jardin et les soins du potager nous occupent aux beaux jours. Et nous passons beaucoup de temps devant notre ordinateur.
Le plus difficile c’est d’échapper à la morosité générale. Beaucoup parmi les plus jeunes enragent de ne plus faire la fête (même si les transgressions ne sont pas rares).
Les plus anciens font le compte du temps à vivre devant eux : combien de mois gâchés par cette épidémie, combien de projets annulés, reportés, combien d’énergie dispensée pour la seule préservation ?
Mais c’est le prix à payer pour notre survie, pour espérer voir grandir nos petits-enfants, pour pouvoir encore témoigner de notre expérience, pour découvrir encore tout ce que nous ignorons.