Depuis avril 2006, ma mère vivait, bon gré mal gré,dans une maison de retraite, un peu hors des lieux et des temps qu’elle ne reconnaissait plus. Seuls repères, bien vivaces ceux-la, les visages de ses enfants, petit-enfants et des proches qui la visitaient. Même les soignants de la maison de retraite (pas tous, car elle avait ses têtes !) avaient droit à ses signes de reconnaissance et de sympathie. Et puis, le chien que je lui amenais à chacun de mes passages ou qu’elle bichonnait lorsqu’elle se déplaçait jusqu’à la Buchette.
Mais dès la fin de l’année, son état s’est brutalement dégradé, avec de violentes douleurs qui ont nécessité son hospitalisation, fin janvier. Après quelques tentatives, la médecine s’est résigné à soulager la souffrance, sans espoir de rémission. Elle s’est éteinte à 95 ans, un matin, le 7 mars.
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés autour d’elle, mardi dernier dans la chapelle de l’hopital Charial. C’est Danièle, notre soeur, la fille ainéé, qui a pris la parole:
« Nous enterrons aujourd‘hui notre maman , mes frères et moi.Pour un moment encore elle est parmi nous ,entourée de toute sa famille » Ils sont venus , ils sont tous là… » , même le petit Antonio, la petite Lucile… et de vous tous ….Merci !
Je voudrais vous la présenter un peu, retracer brièvement son parcours , qui est un long parcours de presque 96 ans .
Une relation qui sera , bien entendu , très subjective ….
De plus , toute sa jeunesse , sa vie de très jeune- femme , je ne la connais que par les récits qu’ elle nous en a fait , par les nombreuses photos, mais je m’ appuie , également , sur les témoignages de ses amis d’ enfance du patronage des Charpennes à Villeurbanne , comme Augustine , l’ abbé Gadriot , ses amis de la Drôme…que j’ ai connus dans ma jeunesse ..
De ses anciennes guides,aussi,qui avaient gardé un si vivant souvenir de leur « Cheftaine Yette » , du cousin Marcel de mon père , qui avait créé le GSL , qui est devenu par la suite le Club Alpin Français, qui nous parlait de la belle descendeuse qui aimait aussi tant le saut à ski .Les souvenirs également de son neveu , mon cousin Maurice ,ils n’ont que 13 ans de différence ; qui a toujours été si proche de sa « jeune tante Yette , si élégante »
Maman est donc née en juillet 1912, 4°enfant de la famille et la 1° fille , c’ est dire qu’ elle a été adorée de ses parents , particulièrement de sa chère maman , qu’ elle a tant appelé , du reste, tout au long de ces 5 dernières semaines et également de ses frères . Elle gardera de ces premières années un souvenir de grande liberté .
Mais 1914 est bientôt là , 4 années sans père à la maison , sur le front de l’ est pendant toute la guerre …..elle ne le reconnaissait plus quand il revenait en permission…..
1925 , elle a 13 ans ; chômage des hommes de la famille ; elle est obligée de quitter l’ école pour travailler dans une filature, la seule paie qui rentrera dans la famille ; c’ est un déchirement …elle adore étudier ….
Elle apprend toute seule la sténo , l’ anglais en cours du soir et devient vers 15 ans sténo- dactylo , puis assistante de direction , métier qui la passionnera .
Modernité, curiosité d’ esprit, enthousiasme sont ses caractéristiques ; elle fait partie du patronage des Charpennes à Villeurbanne ; elle y pratique l’ amitié, le théatre , le chant , la danse ….
Et puis , 1932, la mort de ses 2 parents , elle a 20 ans .
Elle découvre le Scoutisme féminin catholique qui débute à Lyon sous l’ égide de MGR LAVARENNE, qui sera , du reste, l’ aumônier de sa compagnie , la 3° .Guide- aînée, puis cheftaine de guides .
Sa quête de spiritualité, son goût de l’ action sont comblés. Elle découvre, aussi, les voyages, la route, L’ Autriche et Venise en camp itinérant en 1936….
Mais aussi, la Normandie, la savoie …..elle qui n’ avait que peu quitté la région lyonnaise .
Et puis, le SKI, qui sera sa grande passion ,elle s’ inscrit au GSL . c’ est dans une « collective » à Ceillac qu’ elle fera, du reste, la connaissance de son futur mari, qui, lui, est piètre skieur, timoré (….. comme sa fille, du reste) ! Elle qui dévalait les pentes en criant de joie …
1936, elle a 24 ans et ce sont les premiers congés payés.
Elle s’ est mise à la moto avec son frère GABY et ils découvrent ensemble la Côte d’ AZUR, le bateau ….
Mai 1939 , elle épouse mon père.
L’ Europe en crise , la guerre éclate .5 années sombres.
Son jeune mari est envoyé en SYRIE en tant que lieutenant dans l’ artillerie.
Elle est enceinte de moi, se retrouve dans une ville inconnue, SÊTE, à la tête d’une entreprise ayant une activité qui lui était également inconnue… mon père rentre de Syrie en avril- mai 1940, et trouve une affaire qui marche bien, elle a tout géré au mieux !
J’ ai toujours dit que ma mère aurait pu tout faire ….Vaillance, courage, goût du travail bien fait, persévérance …
En tant qu’ épouse, elle est toujours restée aux côtés de son mari, fidèle, courageuse dans les difficultés; Il a toujours pu compter sur elle.
Avec nous, ses enfants, les rapports n’ ont, certes, pas toujours été faciles avec une maman à la grande exigence morale.
En revanche, elle a su nous laisser une trés grande liberté de mouvement. Et moi, qui, par mon métier, ai rencontré tant de parents, je lui serai toujours reconnaissante d’ avoir été une maman intelligente, ayant des projets pour ses enfants.
La femme que je suis, également … car elle a attaché, ainsi que mon père, du reste, autant d’ importance à mes études, mes projets personnels qu’ à ceux de mes frères; ce qui était assez rare à cette époque.
Elle était une femme moderne; elle a su, également, évoluer dans sa vision des rapports humains, des codes sociaux, tout au long de sa vie.
Je l’ ai toujours vu beaucoup lire, en particulier les auteurs ayant eu des prix divers ….Goncourt et autres.
Elle avait une grande curiosité intellectuelle et des interrogations …elle a cherché des réponses toute sa vie …
Elle s’ est intéressée à toutes les innovations technologiques du quotidien, c’ est ainsi que nous avons été parmi les premiers à posséder un frigidaire, une Télé, la première machine à tricoter, les premiers robots – cuisine performants, elle qui cuisinait bien, mais peu souvent.
Elle s’ est mise à la photo avec son Reflex; elle a été le photographe de la famille. Ainsi qu’à la vidéo.
Passionnée par l’ astronomie, l’ Univers et ses inconnues, elle a lu pratiquement tous les livres d’ Hubert Reeves, malgré les difficultés liées à sa vue et aux déficits du grand âge.
Elle a adoré les animaux et tout spécialement les oiseaux qu’ elle observait à Sète et à Montagnieu, je me souviens de ce disque de tous les chants d’ oiseaux qu’ elle s’ était procurée .
Enfin, elle a gardé un goût immodéré pour les magasins jusqu’ à un âge très avancé .
Courageuse, ayant le le goût de l’ autonomie, à la mort de mon père en 1977, à 65 ans elle se remet vaillamment à la conduite, avec sa petite FIAT, je dois dire qu’ être son passager vous procurait pas mal de sensations …..vitesse souvent excessive et quand elle freinait, c’ était souvent en ayant oublié de rétrograder ….
Son besoin d’ autonomie l’ a poussée à rester le plus longtemps possible alerte, même dans sa maison de retraite elle passait son temps à se déplacer avec son déambulateur….vous la laissiez un instant à un endroit et à votre retour, elle n’ y était déjà plus …..
C’ est dire que ses douleurs osseuses affreuses qui ont commencé en Décembre l’ ont beaucoup handicapée, rendant sa marche si pénible….
Et maintenant, je lui souhaite :
De belles pistes neigeuses à dévaler en respirant à pleins poumons l’ air vivifiant qu ’elle a eu tant de peine à trouver ces derniers jours. »
Après cette brève cérémonie, nous avons accompagné Mammyette (c’est ainsi que mes enfants l’appelaient) dans son dernier voyage, elle qui ne savait plus vraiment où elle habitait, entre la maison de retraite, les hôpitaux, les centres de réadaptation, avec ce souvenir vague mais tenace de son appartement qu’elle imaginait retrouver un jour.
Nous la conduisions ainsi vers sa dernière adresse, celle qu’elle n’avait pas oublié : au cimetière de Montagnieu pour rejoindre son mari, au milieu de quelques tombes qui surplombent les vignobles, en plein Sud.
C’est maintenant chez elle.
Merci pour cet adieu sobre et touchant.
Que les archives de la toile conservent aussi sa mémoire et l’amour de ses enfants.
J’aimeJ’aime
Je suis heureuse de voir tante Yette exister sur la toile.
J’ai moins l’impression d’avoir dit adieu mardi dernier à la petite soeur de mon grand-père.
Je suis la fille de son neveu Maurice. Pour lui, enfant unique, elle fut comme un grande soeur admirée. Sortant avec lui alors que ses parents travaillaient, elle lui a fait découvrir Lyon : “On allait en tramway ou à pieds voir s’élever les gratte-ciels à Villeurbanne, ou voir l’éboulement de la colline de Fourvière au-dessus duquel on avait installé des passerelles. On allait souvent aussi au musée Guimet, spécialisé dans l’égyptologie.”
Durant mon enfance nous sommes souvent allés la voir, elle et sa famille (et ses animaux !). J’ai mille souvenirs plein de joie de nos visites à la Duchère ou à Montagnieu. Et plus tard elle m’accueillit chez elle quand je décidais d’aller m’installer quelques temps à Lyon. Des moments de bonheur partagé qui ont nourri mon affection pour elle.
Le grand âge qui abime ne doit pas faire oublier la femme jeune et originale qu’elle a été.
Merci Dany pour ce beau texte que tu nous as lu.
J’aimeJ’aime
à travers ce texte et la cérémonie j’ai pû retrouver Yette qui était si attachante,si pétillante,si libre dans sa tête et au caractère si(trop?) tranché parfois….merci à vous tous pour nous l’avoir fait revivre encore un peu afin qu’elle reste gravé profondément dans notre coeur. ce malheur,sa disparition m’a permis de renouer avec des amis,la famille que j’avais perdu de vue;cela a été un grand moment .c’est un peu comme si sa volonté avait été que l’on se rassemble autours d’elle.merci à toi Yette .
J’aimeJ’aime
Voici un beau texte, touchant, sur une femme extraordinaire qui vous a quittés la veille de la journée de la Femme… Nous sommes de tout coeur avec vous!
Maeva et Alain
J’aimeJ’aime
Merci de nous avoir fait partager ce moment si intime, la séparation d’avec une maman formidable
Soyez assurés de notre amitié
marie laure et hervé
J’aimeJ’aime
J’ai appris tardivement le décès de mon ancienne voisine. A toute sa famille, et plus particulièrement à Dany, j’adresse mes sincères condoléances;
C.
J’aimeJ’aime