Covid : La société du spectacle en panne ?
Depuis mardi 17 mars nous sommes confinés. Comment la vie se déroule-t-elle dans ce village du péri-urbain lyonnais. Comment nous tenons-nous au courant de la marche chaotique du monde entre Venise, Copenhague et Washington où nous avons des amis ? Quels débats, quelles attentes, quels espoirs germent-ils dans cette situation de douce réclusion?
Je poursuis la réflexion suggérée par Bruno Latour : quelles sont les activités qui nous manquent et quelles sont les activités maintenant suspendues dont nous souhaiterions qu’elles ne reprennent pas ?
Ce qui a marqué le grand public, ces derniers jours c’est l’annulation des grands évènements qui jalonnent ce printemps et ce début d’été à venir :

Le tour de France reporté en septembre, le championnat de foot à l’arrêt, Roland Garros reporté en 2021, pareil pour le festival d’Avignon, les Vieilles Charrues à Carhaix, le Printemps de Bourges : la liste est interminable. Ces reports, ou annulations ont sans doute plus marqué les français que l’annonce de la fermeture de la plupart des usines d’automobiles sur le territoire. Cette attention aux grands évènements sportifs ou culturels serait-elle la marque de fabrique de nos sociétés prospères, attachées au spectacle qu’elles donnent au grand public ?
Dans les années soixante du siècle dernier, un courant intellectuel et militant, le situationnisme avait décrit et critiqué cette société du spectacle

qui transformait en marchandise toute œuvre artistique, tout exploit sportif, tout divertissement collectif, et qui finalement s’étendait à toutes les activités de cette société capitaliste. Si les situationnistes n’ont plus d’actualité en tant que courant intellectuel, la société du spectacle, elle, a prospéré. Que diraient aujourd’hui Guy Debord, son fondateur, et ses amis devant les 22 milliards d’€ brassés par le foot professionnel européen, devant les foules qui se pressent dans les festivals, devenus une source indispensable de revenu pour les collectivités qui les accueillent ? Effectivement ces grands évènements sont devenus avant tout des machines à casch qui s’adressent avant tout à des consommateurs, et qui se sont débarrassés de toute relation à l’expérience de leur public.
Et pourtant, les meilleurs fidèles du Tour de France ne se trouvent-ils pas parmi ces amateurs -individuels ou adhérents d’un club de cyclo-tourisme- qui savent ce que c’est de cracher ses poumons dans l’ascension d’un col,

les meilleurs fans d’un concert n’ont-ils pas monté ou encouragé un orchestre de rock dans leur garage, les vrais habitués du festival d’Avignon ne se rappellent-ils pas encore de leurs cours de théâtre au lycée ou de la troupe amateur à laquelle ils ont participé ?
Les grands évènements du sport et de la culture ont à mon sens oublié ce rapport à la pratique, à l’expérience vécue de leur public. Il n’y a plus de rapport entre la vie d’un petit club de foot animé par des bénévoles et les grandes compétitions professionnelles. C’est juste devenu un spectacle pour des consommateurs.
On se prend à rêver d’un monde où les moyens colossaux du sport et de la culture seraient redirigés et disponibles pour tous les citoyens qui voudraient se perfectionner au foot, s’initier à la flute traversière ou à la pratique de l’orchestre, qui voudraient disposer d’un encadrement qualifié dans leur troupe de théâtre. Peut-être réinventer les maisons de la culture et ouvrir les stades et les gymnases aux enseignants bénévoles, aux amateurs sans perspective de compétition.
Le business du spectacle a tout perverti. Il faudrait repartir à zéro. Alors, ce sera le jour d’après ?